président du conseil (18 juin 1954 – 5 février 1955)
MENDES-FRANCE n’a occupé les plus hautes fonctions que pendant huit mois environ ; et pourtant pendant des décennies on a loué les compétences de tel ou tel homme politique en disant : il a été formé par “l’école de MENDES” ! C’est avec DE GAULLE la personnalité politique qui a le plus marqué le début de la seconde moitié du XX° siècle.
Lorsqu’en juin 1954 PMF est appelé à la présidence du conseil ( premier ministre ) par René COTY président de la république ce n’est pas un débutant ; il avait été sous-secrétaire d’état à l’économie lors du second gouvernement BLUM en 38 – à 31 ans ; très tôt résistant il rejoint DE GAULLE à Londres et de 1943 à 1945 il est ministre de l’économie dans le gouvernement provisoire ; mais il ne peut imposer des mesures économiques trop drastiques aux yeux du chef de l’état , ce qui entraine sa démission ! Dommage, il eût donné au franc la solidité du mark ! En 1944 il représente la France lors des accords de Bretton-Woods, se lie avec KEYNES et adopte sa doctrine ! Mais à partir de 1950 c’est la politique colonialiste du gouvernement en Indochine qu’il vitupère à l’assemblée nationale. Les choses vont de mal en pis : le désastre de Dien Bien Phu accélère la défaite française à la conférence de Genève. COTY choisit PMF un peu comme un sauveur. L’assemblée nationale ne penche pas spécialement à gauche ; PMF lui est radical-socialiste un peu dans le style de J.ZAY. Mais lors de son investiture il obtient une majorité écrasante soutenu par les gaullistes, le MRP (centriste), les socialistes, les communistes, tant l’affaire indochinoise empoisonnait les “politiques” (un peu comme “l’affaire algérienne” au début des années soixante). En prenant ses fonctions le 18 juin 1954 PMF s’est donné un mois pour conclure : tout est terminé le 21/07/54. Et pourtant l’affaire était devenue mondiale puisque par le jeu des alliances elle opposait les occidentaux au bloc communiste ! L’homme il est vrai sait mener rondement son action politique en bousculant les usages de l’assemblée maîtresse de l’exécutif : le nouveau président du conseil devait se présenter deux fois devant les divers groupes des députés, tout d’abord seul, et ensuite avec son équipe : ils pouvaient alors refuser certains “ministrables” ; PMF “néglige «la double investiture contrairement aux habitudes prises depuis la constitution de 1946 ! Il essaie ainsi de s’affranchir d’un parlementarisme excessif. Son équipe se caractérise par la jeunesse et des appartenances politiques diverses : CHABAN DELMAS aux travaux publics (important au lendemain de la guerre) FAURE aux finances, MITTERAND à l’intérieur ; le “patron «occupe aussi le poste des affaires étrangères – il a été appelé pour remplir aussi ce rôle! Par l’accord de Genève la France se tire du “bourbier» indochinois. Les pourparlers vont encore plus vite pour le Maroc et la Tunisie : PMF reconnaît l’autonomie interne de ces deux protectorats dans son discours de Carthage le 31/07/1954 ; l’indépendance sera effective en 1955 pour le Maroc et en 1956 pour la Tunisie. Mais son gouvernement allait rencontrer des problèmes plus insolubles : la “toussaint sanglante” éclate dans la nuit du 31 octobre au 1°novembre 54 ! C’est le début des «événements d’Algérie”; dans un premier temps avec son ministre de l’intérieur il prône la fermeté : l’Algérie c’est la France ; il est vrai qu’y résident plus d’un million de français et que la colonisation remonte aux années 1830. Mais le 12 novembre il essaie de lancer une politique plus généreuse pour les algériens ce qui provoque la colère des “pieds-noirs» et des “ultras” en métropole : personne à l’époque y compris le PC n’envisageait ne serait-ce que l’autonomie. Ce sera la cause “officielle” du renversement de son gouvernement le 5 février 1955 ; en réalité depuis les accords de Genève la droite et le PC avaient juré sa perte ; et dans ce régime où les députés avaient tous les pouvoirs sur l’exécutif c’était facile. On peut regretter que PMF n’ait pas pu apporter sa contribution à “l’affaire” algérienne ; il eût sans doute évité entre autres toutes les horreurs de la bataille d’Alger. Par contre un peu malgré lui il sut mettre un terme à l’imbroglio de la CED (communauté européenne de défense) .Depuis le début des années cinquante les six pays de la CECA (communauté européenne du charbon et de l’acier) essayaient de mettre sur pied une armée européenne. Il s’agissait surtout de contrer le bloc communiste ; mais une telle attitude revenait au réarmement de l’Allemagne, à sa partition définitive (RFA. RDA) et à une mainmise de l’OTAN sur l’ensemble des armées européennes : à l’assemblée nationale les gaullistes les communistes et une partie des socialistes étaient hostiles ; les différents présidents du conseil avaient laissé la CED “au placard». PMF reprend le débat sans engager son gouvernement et la France par un vote négatif écarte sa participation le 30/08/1954. Etait-ce un bien ? Sur le moment pouvait-on agir autrement ? Mais le gouvernement perd l’appui du MRP (centre) profondément pro-européen ! PMF s’intéresse aussi à la vie quotidienne de ses concitoyens ; il organise la lutte en grand contre l’alcoolisme et les bouilleurs de cru (souvenons-nous du verre de lait distribué dans les écoles) ; il participe à l’amélioration des conditions sociales des salariés en instaurant entre autres les “causeries hebdomadaires du samedi-soir” pour s’adresser directement au pays par delà les partis politiques ! Soutenu par l’Express nouvel hebdomadaire de référence (quelle décadence depuis lors !) il soigne sa communication.
On peut se demander pourquoi il a été mis si rapidement en minorité ; mais les partis à l’assemblée n’étaient qu’un vague reflet de l’opinion publique ; et surtout l’antisémitisme gangrénait encore la droite. Après le 5/02/1954 PMF ne joue plus qu’un rôle mineur : il est ministre d’état en 1956 sous G. MOLLET mais il démissionne rapidement à cause de la politique algérienne ; enfin il ne s’accommodera jamais de la constitution de la V° alors qu’il souhaitait un renforcement de l’exécutif sur le législatif. Mais il demeure une référence morale au delà même de sa mort en 1982.
J-Pierre SHIEP