Confluences 81 n° 125 : 4ème République

LE FRONT REPUBLICAIN…

Le 1°décembre 1955 E.FAURE président du conseil est mis en minorité ; avec l’accord du président de la république R.COTY l’assemblée nationale est dissoute ; les élections auront lieu un mois plus tard le 2 janvier 1956. Il s’agit de contenir la montée de l’extrême-droite poujadiste extrêmement violente et de trouver une solution pour résoudre “les événements d’ Algérie” ; J.J.SERVAN-SCHREIBER fondateur de “l’Express” proche de P.MENDES-FRANCE propose l’appellation “front républicain” qui regroupe les radicaux , les radicaux- socialistes , des membres de l’UDSR , la SFIO , et les républicains sociaux en un mot toute la gauche modérée. Les élections donnent 27,6% des voix à la gauche non communiste contre 33,1% au centre et à la droite ; mais le PCF avec 25,8% des voix redevient le premier parti de France et il est décidé à soutenir ne serait-ce qu’épisodiquement le gouvernement. L’extrême-droite poujadiste est à 12,9% ! La droite est très divisée si bien que R.COTY confie la formation du gouvernement à la gauche modérée.

Le passage de P.MENDES-FRANCE au gouvernement avait laissé un bon souvenir dans les “milieux autorisés” et il semblait être le leader naturel du centre-gauche ; mais R.COTY lui préfère G.MOLLET après de grandes hésitations peut-être parce-que P.MENDES-FRANCE était trop attaqué par l’antisémitisme ambiant ! Il entre en fonction le 1°février. Participent à son gouvernement quelques personnalités importantes de l’époque : P.MENDES-FRANCE ministre d’état sans portefeuille , F.MITTERRAND à la justice , R. BILLERES à l’éducation nationale , A.SAVARY aux affaires marocaines et tunisiennes , G. DEFERRE à l’outre-mer , J. CHABAN DELMAS aux anciens combattants , G.CATROUX ministre résidant en Algérie : une belle équipe pour mener une politique qui se veut audacieuse . L’économie tourne à fond avec une croissance à faire pâlir d’envie , la modernisation s’accélère dans tous les domaines , et le progrès social se fait en conséquence : création de la C.E.E. et de l’EURATOM le 25/03/57 avec les cinq autres partenaires de la C.E.C.A. ; attribution le 27/03/56 d’une troisième semaine de congés payés malgré les criailleries des conservateurs ; création au printemps 56  d’un fond national de solidarité pour aider les personnes âgées financé par la “vignette auto” ce qui provoque la colère des automobilistes – peu nombreux à l’époque ! Toujours en mars 56 la Tunisie et le Maroc accèdent à l’indépendance – même si tout avait été préparé sous les gouvernements précédents ; et en décembre 56 G.DEFERRE présente la loi-cadre pour l’indépendance de l’AOF et de l’AEF , loi-cadre que DE GAULLE reprendra en 1960 .

Reste un problème insoluble , “les événements d’Algérie”. Sans vouloir entrer dans le détail depuis la “Toussaint sanglante” la situation a empiré : en aout 55 se déroulent les massacres du Constantinois provoqués par le F.N.L. qui désire couper définitivement les algériens des français ; la répression est atroce , complètement disproportionnée : l’état d’urgence est proclamé et l’on songe à rappeler les réservistes ; d’autre part la “guerre” d’Algérie prend une dimension internationale : la France fait plus ou moins figure d’accusée à l’O.N.U. C’est cette situation dégradée que récupère le front républicain ; dès le 6 février G.MOLLET se rend à Alger ; il y est accueilli par une manifestation violente de pieds-noirs d’extrême-droite  ( avec sans doute des poujadistes “importés” de métropole ) . C’est la journée des tomates  : les manifestants ne supportaient pas le remplacement de SOUSTELLE devenu homme de droite par CATROUX plus favorable à une évolution de l’Algérie ; marqué par cette manifestation MOLLET remplace CATROUX par LACOSTE soi-disant homme de la SFIO mais partisan d’une répression aveugle : la “villa” Sésini ( nommée à tort Susini ) à Alger devient tristement célèbre comme lieu de torture ; le président du conseil lui-même entre dans la spirale de la répression aveugle ; il est vrai que la pression du F.L.N. ne faiblit pas bien au contraire : le 30/09/56 l’attentat du “Milk-Bar” à Alger perpétré par de charmantes jeunes femmes fait de nombreuses victimes civiles ; c’est la guerre totale ; et lorsque G.MOLLET essaie de combattre la torture notamment en rencontrant H. BEUVE- MERY ( fondateur du “Monde”) , LACOSTE nie tout en bloc. Une telle situation entraine la démission de P.MENDES-FRANCE en mai 56 et de SAVARY à l’automne. La situation algérienne allait encore se dégrader lors de la bataille d’Alger (7/01/57 au 8/10/57 ) ; la terreur devient générale : c’est l’armée qui contrôle tout et toutes les libertés sont confisquées ; sur le plan militaire c’est une réussite mais quel échec lamentable sur le plan humain ! le F.L.N. en désespoir de cause lance le 28 janvier un ordre de grève qui est peu suivi à cause des pressions de l’armée  Et dire qu’un an plus tôt G.MOLLET parlait de” guerre imbécile ” !  Et l’affaire de Suez vient encore compliquer cette situation difficile : NASSER à la tête de l’Egypte essaie de diriger tous les mouvements d’émancipation d’Afrique du Nord ; certains dignitaires du F.L.N.comme BEN BELLA ont leur quartier au Caire. En juillet 56 NASSER nationalise le canal de Suez ; fin octobre une coalition franco-anglo-israélienne attaque l’Egypte au niveau du canal ( le canal est une réalisation franco-anglaise ) . L’URSS et les USA empêchent la progression de cette invasion mais cet épisode avait mis en relief les liens entre l’Egypte et l’Algérie ; et comme NASSER s’est rapproché de l’URSS … Le gouvernement français navigue à vue : dès le 29 novembre l’essence est rationnée ; sur la jetée à Marseille la DCA (défense anti-aérienne ) est mise en place ; la tension chez les civils est à son comble – c’est à partir de ce moment-là qu’on a recommencé à entretenir les sirènes d’alerte … La situation s’est un peu calmée au printemps 57 mais la guerre d’Algérie  continue son cours dans l’horreur …Lorsqu’en mai 57 G.MOLLET est mis en minorité pour un conflit avec les médecins il n’y eut pas grand monde pour le regretter…Au point même qu’en 1981 lors de son premier discours F.MITTERRAND ne dit pas un mot sur le “front républicain”…Mais pouvait-il en présenter une vision objective lui qui avait été ministre de la justice de ce même gouvernement?

JP SHIEP