DE GAULLE ET LA IV° REPUBLIQUE
En janvier 1946 DE GAULLE démissionne : il avait été mis à la tête de l’état par l’ensemble des députés au lendemain de la libération. Mais l’assemblée constituante qui doit mettre sur pied la IVème république s’oriente de plus en plus vers un régime parlementaire dans lequel le président du conseil est responsable devant l’assemblée nationale ; le président de la république, lui, inaugure les chrysanthèmes ! Ce sont donc les partis qui dirigeront indirectement la vie politique avec leurs majorités de rechange, leur compromis (compromissions ?)… De toute évidence DE GAULLE ne voulait pas de ce genre de régime qui lui rappelait trop cette IIIème république honnie de tous ; avant même les deux référendums (avril et octobre 46) qui marquent la naissance réelle de la IVème, DE GAULLE ” a mis les voiles” persuadé qu’on ne saurait se passer de lui ! Mais ce retrait ne signifie nullement un désintérêt pour la “chose publique” : il prononce des discours à droite et à gauche lors de telle ou telle commémoration ; et il tient de nombreuses conférences de presse (c’est ce que feront les grands leaders de “l’opposition” dans les années 70-80). Le 16 juin 1946 il prononce à Bayeux pour célébrer la commémoration de la libération de la ville un discours-programme : “le président de la république élu par un collège de grands électeurs, au-dessus des partis ne peut être renversé par les députés ; il nomme les ministres qui sont responsables devant les deux chambres ; il inspire la ligne politique de son (ses) gouvernement (s)”.
A quelques détails près c’est déjà la constitution de la Vème (1958), un régime présidentiel avec une assemblée nationale “chambre d’enregistrement” ! Après la victoire du “oui” à la constitution de la IV°, DE GAULLE se déchaîne, d’autant que le MRP tout puissant et allié traditionnel des gaullistes a voté dans le même sens. Les années 47-48 sont particulièrement difficiles pour les français : difficultés économiques qui entrainent de grandes grèves que ne peut contrôler le PC, débuts de la guerre d’Indochine, expansion de l’URSS en Europe centrale (ce qui deviendra quelques années plus tard le pacte de Varsovie). Et le gouvernement français est empêtré dans son instabilité habituelle sans pour autant faire appel au “plus grand des français”… Qui ne reste pas inactif : lors d’un discours à Strasbourg le 7 avril 47, il annonce la formation du RPF (rassemblement du peuple français) ; il s’agit en fait d’un “parti” au service de la cause gaulliste (gaullienne?). En octobre aux municipales le RPF remporte un immense succès, sans lendemain cependant ; c’est aussi le début du reflux jusqu’aux législatives de juin 51 : il est alors devancé par le PCF ! Le RPF en fait contient de nombreuses ambiguïtés : anticommuniste, il adopte cependant une attitude assez évoluée vis-à-vis des colonies ; opposé “à mort” aux partis de la gauche traditionnelle il prône “l’association” du travail et du capital ! Jamais un parti politique ne fut plus proche d’une forme de “fascisme” à la française d’autant qu’il mêle des personnalités remarquables et des gens beaucoup plus douteux et que tout militant (sauf s’il est communiste) peut y adhérer sans démissionner de son parti d’origine : c’est le “parti unique” de triste mémoire ! A partir de ce moment c’est la traversée du désert : les interventions de DE GAULLE sont beaucoup plus rares : l’épisode l’a fait passer pour un “factieux” auprès d’une partie importante des politiques ; de plus l’amélioration de l’économie détourne la plupart des gens de la “geste” gaullienne fondée sur le souvenir de la “résistance”. Au début de l’année 58 les français sont seulement 11% à croire au retour de DE GAULLE aux affaires ! Quant à l’intéressé retiré depuis 1954 à “la Boisserie” il pense ne plus diriger le pays (est-il sincère ?). Et pourtant au printemps tout va se précipiter avec l’intervention plus ou moins souterraine de militaires gaullistes ou même d’extrême droite : le 15 avril le président du conseil F. GAILLARD est renversé à cause de sa “faiblesse” dans les affaires algériennes ; le pays reste sans gouvernement pendant quatre semaines ; PFLIMLIN favorable à des contacts avec le FLN doit entrer en fonction le 13 mai. Or ce jour-là à Alger se déroule une manifestation d’anciens combattants suivie par une foule nombreuse en mémoire de trois soldats français exécutés par le FLN ; tout ce “beau monde” assaille le bâtiment du gouverneur général, constitue un comité de salut public et en appelle à DE GAULLE. Lequel pendant quelques jours est fort embarrassé par ce “cadeau” : après tout il y a un gouvernement “légitime”. Pour forcer les événements, les “putschistes” organisent l’opération résurrection en Corse le 24 mai. Le président de la république R. COTY prend peur et entre en contact avec DE GAULLE. Finalement malgré des manifestations “républicaines” DE GAULLE est investi les 1er et 2 juin avec les pleins pouvoirs pour six mois ; et aux journalistes qui le lui reprochent il répond : “pourquoi voulez-vous qu’à soixante-sept ans je veuille commencer une carrière de dictateur” ? En fait chez la plupart des politiques c’est le soulagement, les uns redoutant que le putsch atteigne la métropole, les autres comme G. MOLLET craignant que le désordre amène le PC au pouvoir. Mais que d’ambiguïtés dans ce retour aux affaires : DE GAULLE sans doute au courant du putsch est revenu au pouvoir pour le contenir ! C’est sans doute F. MITTERAND qui a su le mieux résumer cette situation : “la Vème république fruit des amours illégitimes de DE GAULLE et du coup d’état” ! La IVème république avait vécu même si sur le papier elle ne s’achève qu’à la fin de l’année. Lors de son premier déplacement à Alger il prononce son fameux : ” je vous ai compris ” ! Mais que fallait-il comprendre dans la bouche d’un homme assez favorable à l’autonomie ?
Jean-Pierre SHIEP