Confluences 81 n° 125 : rubrique “femmes”

Catherine Duchemin Girardon (1630-1698)

Catherine Duchemin est née à Paris. Son père est maître sculpteur. La fréquentation de l’atelier de son père lui donne le goût du dessin, de la peinture. Elle peint des fleurs, des natures mortes, car une femme peignant des corps, nus de surcroît, était alors très mal perçu en ce temps-là. En 1657, elle épouse un de ses voisins habitant la même rue, le jeune sculpteur François Girardon.

En avril 1663, après l’examen et la réception de ses œuvres par le jury, elle devient la 1ère femme à entrer à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture*. Une fois roi, Louis XIV décide d’offrir leur chance à « (…) tous ceux qui excellent dans les arts de Peinture et de Sculpture (…) sans égard à la différence du sexe (…) ».

Tandis que son époux, François Girardon, prenait du grade dans les grands chantiers royaux (il devient recteur de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en 1674), sa carrière de peintre se faisait quant à elle de plus en plus discrète. L’ascension de la position sociale de son époux et la gestion du foyer composé de dix enfants (dont la plupart décédèrent en bas âge) la poussèrent à renoncer à son activité artistique pour se consacrer au rôle traditionnel imposé aux épouses. Comme de nombreuses femmes avant et après elle, Catherine Duchemin-Girardon a sacrifié son talent artistique pour assumer un rôle qui lui était imposé par les conventions sociales : les épouses d’hommes fortunés n’avait pas d’obligation de travailler pour subvenir aux besoins de la famille, il aurait donc été malvenue d’avoir une activité salariée à l’extérieur du foyer.

Depuis plusieurs siècles, les rapports sociaux de genre, même au sein des relations amoureuses, ont tout mis en place pour légitimer l’instrumentalisation des femmes sous couvert d’une « loi naturelle » basée sur la différenciation des sexes. Cette prétendue loi naturelle, transmise de père en fils et de mère en fille (et par l’ensemble des institutions sociales) participe à l’essentialisation des rôles sociaux de sexe et à considérer comme « naturels » les comportements admis comme étant « masculins » ou « féminins ». Selon cette « loi naturelle », les individus de sexe masculin seraient des êtres prédisposés au savoir ce qui leur donnerait le droit de s’approprier le corps des femmes ; tandis que les individues de sexe féminin seraient soumises à leurs sentiments, à leur « nature », dévouées au rôle maternel de procréation. La force de ce système de domination sexuée est de parvenir à faire croire, à faire intégrer aux personnes, que leur mode de vie est lié à leur choix personnel. Ne mesure-t-on pas l’aliénation d’un individu à son illusion de liberté ?

Catherine Duchemin-Girardon meurt en septembre 1698. Une délégation de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture se rend aux funérailles, probable preuve de l’estime qui était portée à son talent de peintre. L’époux, inconsolable dessine en son honneur et fait bâtir, par ses plus brillants apprentis, le plus beau monument du cimetière de l’église Saint Landry**.

Patrice K

* L’Académie Royale de Peinture et de Sculpture est fondée en 1648 lors de la régence d’Anne d’Autriche, mère de Louis XIV. Suivant une idée impulsée par un groupe de peintres et de sculpteurs réunis autour de Charles Lebrun.

 

** Située dans l’île de la Cité, à Paris, l’ancienne chapelle Saint Nicolas, devient église Saint Landry au XII° siècle. Réquisitionnée par l’Etat en 1792, reconvertie en atelier de teinturerie, l’église sera détruite en 1829. La partie Nord-Est de l’Hôtel Dieu est construite sur son ancien emplacement.