Anna Maria Van Schurman (1607-1678)
Née à Cologne dans le Saint Empire romain Germanique, au sein d’une famille d’origine calviniste, elle bénéficie très tôt d’un enseignement littéraire et artistique de la part de ses parents, ce qui lui permet de savoir lire l’allemand dès l’âge de 4 ans. Elle développa des talents en dessin, peinture, sculpture, gravure, poterie, poésie. Mais aussi, elle chantait et jouait du clavecin et du luth (à tel point que la poétesse et graveuse néerlandaise Anna Visscher l’encense dans un poème en 1620).
En 1632, elle entre en contact épistolier avec le théologien français André Rivet* notamment pour débattre de la question de savoir s’il était adapté à une femme chrétienne d’étudier les sciences, la Bible, la théologie, la littérature, les Arts…
Sans doute pour prouver que rien n’empêchait une femme d’étudier et de développer des compétences (si ce ne sont les préjugés et les lois), elle étudia le français, l’anglais, l’italien, le grec ancien, le latin, l’hébreu, l’arabe, le chaldéen, le syriaque, l’éthiopien… langues qu’elle savait, pour la plupart, lire, écrire et même parler.
En 1636, le pasteur, théologien et professeur Gisbertus Voetius lui permet de devenir la première femme à étudier à l’université d’Utrecht (mais elle dut suivre les cours cachée derrière un rideau dans une loge, pour ne pas perturber les étudiants masculins), alors que l’Université était interdite aux femmes. Elle y obtient un diplôme en droit.
En 1641, elle publie « Dissertatio », un plaidoyer en faveur du droit des femmes chrétiennes** à l’étude. La publication de son plaidoyer en faveur du droit des femmes à étudier lui permit d’entrer en relations épistolières avec certaines femmes savantes de différents pays européens, telles Bathsua Makin***, Marie de Gournay**** ou encore Élisabeth de Bohême, princesse Palatine*****. Certaines personnes lui donnèrent alors comme surnom « la Minerve d’Utrecht » !
Après la mort de sa mère, elle prit soin de deux vieilles tantes, s’écartant peu à peu des sciences et des arts, et de ses relations sociales. Fascinée par Jean de Labadie (ancien jésuite français converti au calvinisme) et attirée par sa conception d’une Église de régénérés, elle participa à la « secte » dès 1664. Son choix spirituel, de suivre les « labadistes », la coupa des milieux intellectuels qui lui tournèrent le dos. Elle sombra peu à peu dans l’oubli. Des années après sa mort, ce ne sont plus ses talents que l’on vantait, mais sa supposée nature « vertueuse ». Au XIX° siècle, cette tendance se prolongea et elle devient appréciée de certains cercles pour sa modestie et son humilité.
Définir Anna Maria Van Schurman par sa profession serait malaisé. On peut dire qu’elle fut poétesse, dessinatrice, portraitiste, peintre, chanteuse, musicienne, sculptrice, potière, essayiste, théologienne… Grâce à la fortune familiale dont elle disposait elle ne se vit pas forcée de travailler pour un salaire ni de se marier (elle décida de rester célibataire !). Elle n’eut donc pas à choisir parmi ses multiples talents pour subvenir à ses besoins ! Ce qui, hélas, n’est pas le luxe vécu par la plupart des femmes de la planète.
Patrice K
* Professeur à l’Université de Leyde, il sera nommé, en 1633, précepteur du jeune prince Guillaume d’Orange-Nassau.
** Anna Maria Van Schurman considère-t-elle que les femmes non chrétiennes ne méritent pas le droit d’étudier ?
*** Bathsua Makin (1601-1675) essayiste anglaise qui publia en 1673 « Essai pour relancer l’éducation des gentes femmes, dans la religion, les Arts, les manières & les Langues, avec une réponse aux objections contre cette voie de l’éducation »
***** sur Marie de Gournay, voir Confluences N° 118 de janvier 2016.
***** Fille aînée de Frédéric V et d’Élisabeth Stuart. Elle fut une élève de René Descartes.