Jacques et son maître traversèrent sans s’arrêter la grande ville de Lyon et longèrent la vallée du Rhône en direction du sud. Ils envisageaient de joindre l’Aveyron en passant par les gorges du Tarn, obliquant vers l’ouest après Montélimar. à Vienne, ils songèrent un instant se diriger vers Grenoble. Selon ce qui se disait, de grands changements venaient de s’y produire. D’un commun accord, ils remirent à plus tard la visite de cette ville, afin, disait Jacques « de laisser aux nouveaux venus le temps de faire leurs preuves ».
À Valence, ils quittèrent le fleuve majestueux en direction de Die où, selon le maître de Jacques, une fameuse clairette leur tendrait ses flûtes. Peu après Crest, sur les bords de la Drôme, ils tombèrent fortuitement sur Saillans. Surpris par la douceur de l’air et l’activité bourdonnante des habitants, ils y découvrirent une forme d’auto-gouvernement étonnante.
Remontant en selle quelques jours plus tard, le dialogue reprit.
Le Maître : Quels magnifiques couchers de soleil sur le Vercors ! J’en suis tout ébaubi.
Jacques : Certes, mon bon maître, mais est-ce là ce qui vous a frappé et intéressé ?
Le Maître : J’ai aussi remarqué que le maire était étrangement vêtu et se déplaçait sur une drôle de monture[1] !
Jacques : Mon bon maître, à coup sûr, vous raillez ! Il n’y a pas de maire à Saillans.
Le Maître : Je pense avoir compris que le sieur Vincent Beillard n’est qu’un maire parmi les autres…
Jacques : Et cela ne vous inspire qu’une réflexion sur les couchers de soleil ?
Le Maître : Tu me l’as déjà seriné : finis les chefs, nous entrons dans l’ère de la démocratie participative !
Jacques : Vous moqueriez-vous ?
Le Maître : Que nenni ! Mais tu dois convenir que tous ces villageois sans expérience politique qui se mettent à décider de tout et de rien, cela ne fait guère sérieux… L’ancien maire, un homme responsable, lui, ne manque pas de relever que les dossiers urgents ne sont pas traités. Comme ces novices n’ont aucune compétence, le système va se bloquer très vite. Ne faudra-t-il pas revenir à un gouvernement du bourg par l’élite des citoyens ?
Jacques : Les élus ne sont que des animateurs, les idées vont émerger des habitants associés à l’élaboration des décisions… Sur moins de 1200 habitants enfants compris, 240 citoyens sont inscrits dans les commissions participatives et le conseil municipal a été rebaptisé « comité de pilotage » pour orienter la politique locale. Vous qui aimez tant les élites, vous n’avez pas manqué d’observer qu’un « conseil des sages » a été créé pour veiller au respect de la démocratie !
Le Maître : Assurément, mais tu n’as pas répondu à ma question !
Jacques : André Oddon[2], qui est très écouté ici, est conscient que Saillans n’a pas choisi la solution la plus facile. Et tous admettent qu’ils sont susceptibles de commettre des erreurs. Tout le monde reconnaît ici la difficulté de faire « coïncider la complexité de certains dossiers avec la participation citoyenne ».
Le Maître : N’est pas là un aveu d’échec ?
Jacques : Pour chaque crotte de chien sur les trottoirs, ils ne créent pas automatiquement une commission ad hoc ! En revanche, les grands projets utiles et non imposés[3] ne leur tomberont pas sur la tête : les habitants concernés auront réellement élaboré la décision.
Le Maître : Passés les premiers enthousiasmes, je crains un essoufflement de tes amis !
Jacques : Parions sur ce point ! Continuons notre voyage et repasserons par Saillans à notre retour !
Candida Rouet (juillet 2014)
[1] Voir la photo ci-contre piquée sans vergogne au journal Le Monde
[2] Adjoint aux maires de Saillans !
[3] GPUNI par opposition à GPII (Grands Projets Inutiles Imposés)