Dialogue n° 6 de Jacques et de son Maître

105 page 11 ALTERNATIBA afficheDialogue 6 : démocratie, autogestion et politique

Le soleil aidant, le dialogue reprit.

Le Maître : Jacques , tu as évoqué la perspective de la fin de l’Ancien Régime. Je verrais bien une monarchie constitutionnelle, avec un Parlement qui voterait les lois et un Roi qui serait garant de leur exécution.

Jacques : Pourquoi pas une République ?

Le Maître (avec humeur) : Inimaginable ! Comment les gueux pourraient-ils gouverner un pays comme le nôtre ?

Jacques : S’ils sont capables de gouverner Saint Martin, pourquoi pas à un autre niveau ?

Le Maître : Tu ne peux nier qu’à grande échelle, la politique est affaire de spécialistes, d’experts ?

Jacques : Avec de telles conceptions, je n’ose imaginer ce que les gens de votre condition, lorsqu’on leur aura retiré la monarchie, feront des institutions de notre pays !

Le Maître (irrité) : Je suis bien curieux de savoir !

Jacques : Une sorte de République monarchique – au mieux aristocratique, au pire oligarchique – où le Roi sera remplacé par un Président ! Je les crois même capables de le faire élire au suffrage universel, pourvu qu’il s’engage, implicitement, comme allant de soi, à défendre les intérêts de la classe des « dominants ». Ainsi, le peuple aura l’illusion de désigner son « chef suprême »… mais rien, au fond n’aura changé !

Ah, rassurez-vous ! Les gueux, comme vous dites, ne vous gouverneront pas !

Non, ce qu’il faudrait, c’est que le peuple puisse décider de tout ce qui va régir sa vie de tous les jours, à chaque niveau géographique… tout comme à Saint-Martin au niveau de la commune !

Le Maître : Ce qui est possible dans une ville de 5000 habitants ne l’est plus au niveau d’un pays qui en compte plusieurs millions.

Jacques : Essayons d’imaginer un pays où le peuple non seulement saurait lire, écrire et compter, mais encore aurait assez d’esprit critique et de volonté de prendre ses affaires en mains…

Le Maître : Utopie !

Jacques (imperturbable) : … il n’y aurait peut-être plus besoin de représentants, de « députés » qui votent les lois à sa place ! Des lois qui en outre lui sont souvent défavorables !

Le Maître : Utopie ! Tout le monde ne peut se mêler de gouverner notre pays. Quel désordre en peu de temps !

Jacques : Je dirais au contraire qu’il faut dépasser cette « démocratie représentative » qui semble tant vous effrayer. Dans une « vraie » démocratie, on n’accorde pas sa confiance aveuglément à un délégué, aussi « expert » soit-il, sans avoir par ailleurs le droit de la lui retirer, cette confiance, s’il trahit les promesses qu’il a avancées avant sa désignation.

Le Maître : Quelle instabilité politique !

Jacques : Il faut évidemment leur permettre de faire leurs preuves ! On donnerait à nos représentants le temps nécessaire pour mettre en œuvre leur politique, avant d’avoir le droit de les révoquer. Cela dit, l’idée de démocratie directe n’est pas celle de tout le monde décidant de tout, tout le temps. La question clé est qu’une démocratie directe doit donner la possibilité à tout le monde de décider directement de certaines questions. On devrait donc pouvoir, en théorie, voter sur tout directement, mais dans la pratique, on ne le fera que lorsqu’on le voudra ou lorsqu’il y aura des décisions importantes à prendre.

Le Maître : Et pour arriver à cela, tu donnerais le droit de voter, même aux femmes ?

Jacques : Bien sûr ! Mais le vote n’est pas la seule façon de désigner nos représentants.

Le Maître : Je redoute le pire !

Jacques : Oui, on pourrait les tirer au sort.

Le Maître (à deux doigts de s’étouffer): Diable, je serais curieux de voir fonctionner ton système plus de 24 heures !

Jacques : Pour le savoir, il faudrait l’expérimenter !

Le Maître : Trêve de plaisanteries ! Brisons là ce discours ! Où allons-nous, à présent[1] ?

Jacques : J’ai ouï dire que du côté de Rodez, de redoutables Aveyronnais avaient des idées – et des pratiques même ! – sur ces nouvelles façons de prendre des décisions réellement démocratiques. Ils utilisent une expression que je ne comprends pas bien, ils veulent « inverser la campagne » !

Nos deux héros se turent, Jacques parce qu’il n’en savait pas plus sur ces irréductibles Ruthénois, son Maître parce que la conversation lui avait donné une royale migraine ! Mais comme « qui ne dit mot consent », ils dirigèrent les rênes de leurs montures cap au sud !

Candida ROUET (mars 2014)

[1] Avez-vous remarqué tous les bienfaits de telles conversations ? Ce n’est plus le Maître qui décide du but du voyage…