Confluences 81 n° 123 : histoire et politique

123-page-16-georges-pompidou-jacques-chirac-et-georgesGEORGES SEGUY…

Une fois de plus je me dois de présenter des excuses aux lecteurs de mes “bafouilles” : il était prévu d’évoquer tel ou tel aspect de la IV°république. Or le décès de G. SEGUY nous amène à honorer sa mémoire, tout comme nous l’avons fait pour M. ROCARD dans le numéro précédent…

Avant les “événements” de mai 68, G. SEGUY est peu connu en dehors des milieux syndicaux : le grand public l’a vu à la tête des manifestations du 1er mai quelques jours avant le début des grandes révoltes estudiantines et de la grève générale. On savait que depuis le 16 juin 1967 il était secrétaire général de la CGT à la place de B. FRACHON ; ce sont les grandes grèves à partir du 17 mai qui le propulsent au devant de la scène : il conduit la délégation CGT lors des “accords” de Grenelle les 25 et 26 mai .

En fait la CGT et les autres syndicats sont complètement déboussolés : alors que les étudiants et une partie des travailleurs pensent vivre un épisode prérévolutionnaire avec à la clef un changement de régime, les exigences syndicales restent revendicatives : augmentations importantes de salaire, abrogation des “ordonnances sociales” etc… G. SEGUY redoute surtout une collusion entre les travailleurs et les étudiants “gauchistes” ; n’a-t-il pas dit en parlant de COHN-BENDIT : “qui c’est celui-là” ? La délégation gouvernementale emmenée par le premier ministre G. POMPIDOU, J M. JEANNENEY, ministre des affaires sociales, et par le secrétaire à l’emploi J.CHIRAC restera étonnée devant des revendications aussi minimalistes ! Malgré une forte augmentation du Smig et dans une moindre mesure des autres salaires, malgré une augmentation du pouvoir syndical dans les entreprises le travail ne reprend pas ; SEGUY essaie de convaincre à plusieurs reprises les “cégétistes” mais cela débouche sur des situations cocasses comme à Renault-Billancourt où quoi qu’il ait pu en dire après-coup, il se fait copieusement huer par la base le 27 mai ! En fait la CGT suit une ligne réformiste tout comme le PCF. Son nouveau secrétaire général ne se sentait pas capable peut-être de prendre ses distances par crainte de ne plus contrôler sa base ; la CFDT a su se rapprocher davantage des étudiants… Mais le réformisme de la CGT n’a-t-il pas été en définitive plus profitable aux travailleurs ? Vaste débat… Le nouveau «patron» de la CGT avait eu une vie bien remplie avant d’être sous les feux de la rampe : né à Toulouse en 1927 – il conservera toujours son accent du sud-ouest («l’an-née »)- il a sucé dès son enfance «l’esprit» de la revendication : son père, cheminot, est au PC depuis 1920 : il ne semble pas avoir été beaucoup influencé par le catholicisme assez tiède de sa mère. Il accompagne son père aux réunions et il n’hésite pas à se mettre en avant pour défendre son instituteur arrêté pour avoir manifesté ! En 1940 au cours complémentaire, il doit subir l’instruction civique à la gloire du Maréchal. Sa future direction est déjà toute tracée : il apprend le métier de conducteur typographe dans une imprimerie qui travaille pour la Résistance ; en 1943 il entre aux jeunesses communistes et devient FTP (franc tireur et partisan) ; arrêté en 44, déporté à Mauthausen il est libéré en 1945 et abandonne son métier de typographe en raison de son état de santé ; il entre comme cheminot à la SNCF où il suit le cursus normal d’un militant CGT ; sa carrière politique se précise également : en 1956 il est suppléant auprès de M. THOREZ et il fait partie de la délégation au 20ème Congrès du PCU (début de la déstalinisation par KHROUCHTCHEV) dont il apprécie l’orientation nouvelle tout en étant quelque peu traumatisé par la révélation des crimes de STALINE ! Tout semble réussir à cet homme dans la force de l’âge, jovial mais discret, au français impeccable. Au lendemain de mai 68 les élections législatives redonnent le leadership au PC et indirectement à la CGT : alors que la gauche non communiste est réduite à néant , alors que l’extrême-gauche ne peut que proclamer “élection-trahison” le parti recueille un peu plus de 20% des suffrages et le “réformisme» de SEGUY commence à porter ses fruits : à l’automne 1969 il se permet même d’attaquer le premier ministre J. CHABAN DELMAS en proclamant à plusieurs reprises : “Messieurs (du gouvernement), c’est mal parti, ça tangue”. CHABAN monopolisera les ondes de radio-paris (?) à 20 heures pour essayer de contrer cette formulation : SEGUY n’aura même pas à répondre la CFDT et FO s’en chargeront ! A ce moment la CGT est en pointe sur tous les grands conflits, appréciée pour son réalisme, sa force et pour la bonhomie ironique de son patron. Dès la signature du programme commun, SEGUY tout en restant communiste regarde de plus en plus dans la direction du PS, désireux d’attirer ses sympathisants dans l’orbite de la CGT comme le prouve le congrès de Grenoble en 1978 ; en 1981 il apprécie au plus haut point l’élection de MITTERRAND au second tour ! Mal à l’aise à l’intérieur d’un PC qui se raidit de plus en plus face à son désir de plus de démocratie syndicale, il démissionne en octobre 81 de son poste de secrétaire général, prétextant avoir atteint l’âge de la retraite ; en fait l’appareil lui préfère KRASUCKY aux positions beaucoup plus orthodoxes. Cette retraite ne l’empêche pas de rester un militant très écouté qui s’investit dans le mouvement pacifiste et qui préside l’institut d’histoire sociale de la CGT. En 2004 il se réjouira que le cordon ombilical ait enfin été coupé entre le PC et la CGT : “la rupture aurait dû intervenir vingt ans plus tôt, la CGT avait tout à y gagner et le PCF n’y aurait pas plus perdu”… Le « bon bourgeois» voyait en SEGUY un pur produit du PCF, rigide et sectaire. En réalité l’homme sous cette apparence était sensible à toutes les évolutions. Les «politiques» l’ont toujours apprécié au plus haut point.

Jean-Pierre SHIEP