Dialogue 2 : un petit déjeuner « relocalisé »
De jeunes rappeurs ayant animé la nuit de l’auberge jusqu’à fort tôt le matin, Jacques et son Maître s’installèrent au soleil de la terrasse pour déjeuner avant de reprendre la route. L’aubergiste leur apporta une tranche de lard fumé et deux œufs frits de production locale. Café, tartines et beurre à volonté. Jacques s’étirait de plaisir et son Maître retrouva le sourire.
Jacques : Rien de tel qu’un petit déjeuner paysan pour vous remettre d’une folle nuit !
Son Maître : à 10 € par personne, service compris. Nous sommes encore loin de la gratuité dont parlions hier !
Jacques : Certains refusent le terme « gratuité » et préfèrent l’expression « libre accès aux biens essentiels ».
Son Maître : Qu’est-ce que cela change ?
Jacques : Mon bon Maître, cela suppose que chaque citoyen a le devoir de contribuer par son travail à ce libre accès de tous aux biens essentiels…
Son Maître : Les profiteurs ne vont pas se priver de tirer bénéfice de ton système sans y contribuer ! Dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux revenir au troc ?
Jacques : Le troc peut fonctionner dans un espace limité, pas dans les sociétés mondialisées actuelles.
Son Maître : Alors, il faudra conserver une monnaie !
Jacques : Il existe déjà d’autres monnaies : les monnaies locales, les monnaies sociales, les Systèmes d’échanges Locaux…
Son Maître : Oui, oui, je t’échange un kilo de patates contre une histoire à raconter à ton gamin ! Tu n’empêcheras pas les gens de continuer à accumuler leur argent sous formes de réserves déposées à la banque.
Jacques : On peut imaginer un système de monnaies « fondantes »…
Son Maître : Comme le chocolat ?
Jacques : Presque ! On ne peut l’épargner, car elle se dévalue, par exemple de 10% par mois ! Elle vous permet d’acheter au jour le jour ce qui est essentiel pour votre vie. Au bout d’un an si vous ne l’avez pas dépensée, elle ne vaut plus rien : l’épargne devient inutile ! Et les banques sans doute aussi !
Son Maître : Je n’arrive pas à imaginer ton système sur une grande échelle.
Jacques : Pour le moment ! Mais cela va changer. Avec la fin du pétrole et donc celle de l’automobile et du camion pour transporter les produits agricoles et manufacturés, il faudra revenir à quelque chose de plus humain. Les systèmes de distribution actuels seront cassés, les produits inutiles et fragilisés ne seront plus fabriqués… La plus grosse partie de ce que nous consommons sera produite localement… On recréera des épiceries de quartier ou de village où les biens essentiels seront en accès libre…Imaginez la fin des MacDo, Carrefour et autres multinationales ! Mais peut-être en êtes-vous actionnaire ?
Son Maître : Insolent ! Ce n’est pas en dépouillant les riches que les pauvres ne le seront plus.
Jacques : C’est en dépouillant les pauvres que les riches le sont de plus en plus !
Son Maître (irrité) : Il y a un hic : comment comptes-tu éliminer l’individualisme qui mène le monde ?
Jacques : Mon bon Maître, lisez mieux Confluences 81 ! Par l’éducation des enfants et des adultes ! Par le pouvoir de la parole, mais surtout par celui de faire. Montrons l’exemple, expérimentons nos idées nouvelles ! Il faudra bien que les « individus » comprennent que l’avenir consiste à greffer maintenant un arbre pour que les générations futures en consomment les fruits. à créer des jardins pour que chacun y puise ce dont il a besoin, mais pas plus…
Son Maître : J’appelle cela de l’utopie.
Jacques : Mon bon Maître, cela s’appelle la solidarité !
Le soleil s’étant bien élevé dans le ciel, nos deux héros décidèrent de se mettre en route. Jacques sella les chevaux (notez bien qu’il n’alla pas faire le plein du réservoir d’essence !) et ils chevauchèrent, chacun méditant sur la suite à donner à leur conversation matinale.
Candida ROUET (à suivre !)
publié dans le n° 103 de Confluences 81 (juillet 2013)