Dialogue n°1 de Jacques et son Maître : à la recherche d’une auberge

102 page 5 Jacques le FatalisteDialogues : le 1er « à la recherche d’une auberge »

Ayant appris, les nouvelles courant à la vitesse du cheval Findus au galop, qu’Hubert souhaitait ouvrir une nouvelle rubrique dans Confluences 81, Candida a téléphoné à son compère Denis (Diderot) pour obtenir son feu vert afin de pasticher quelques uns de ses dialogues. Elle a choisi comme personnages Jacques le Fataliste et son maître pour incarner l’un le cœur et l’autre la raison. Mais vous le savez bien, la vie n’est pas aussi simple ! Ci-dessous le 1er dialogue. (Confluences 81 n° 102 mai 2013)

La rédaction

Dialogue 1 : à la recherche d’une auberge

Tout en chevauchant côte à côte, Jacques et son Maître s’abandonnèrent à leur péché mignon, la discussion politique…

Jacques : Je rêve d’un monde où tout serait gratuit…

Son Maître : Mon bon Jacques, tu sais bien que c’est impossible !

Jacques : … un monde où chacun disposerait d’un toit, chauffé l’hiver, un monde où l’électricité pour m’éclairer, l’eau pour boire et me laver, l’éducation pour mes enfants, les médicaments pour nous soigner seraient gratuits. Un monde…

Son Maître : Pure utopie ! Tu sais bien que tout le monde en abuserait pour accumuler plus que le nécessaire ! L’industrie des hommes ne suffirait pas à produire tous ces biens indispensables : les abus seraient énormes si tout était gratuit. Pire, les ressources de la planète seraient vite épuisées.

Jacques : Il faudrait édicter la loi du « minimum vital ». Au-delà de ce minimum, ces biens communs seraient payants, et plus on en consommerait, plus le tarif serait élevé.

Son Maître : Même pour les médicaments ?

Jacques : Mon bon Maître, vous le savez mieux que quiconque, consommer trop de remèdes nuit gravement à la santé ! De l’exercice physique, une alimentation saine…

Son Maître : Justement, dans ton monde, l’alimentation des êtres humains serait-elle aussi gratuite ?

Jacques : Pas pour s’empiffrer de mets rares et lointains.

Son Maître : Et comment t’y prendrais-tu, alors que la majeure partie des humains qui peuplent la planète crèvent de faim ?

Jacques : Au lieu de contraindre les pays pauvres à produire sur leurs terres des denrées rares pour nourrir les riches de nos contrées, voire leur bétail, je réorienterais leur production vers des cultures vivrières à consommer sur place.

Son Maître : Et pour nos pays ?

Jacques : Pareil ! On relocalise les productions agricoles ! On consomme ce qu’on produit sur place, selon les saisons. Est-il vital de manger des fraises à Noël ?

Son Maître : Mais il faudrait toujours acheter cette nourriture, tout le monde ne peut pas se transformer en maraîcher ! Que devient ta gratuité ?

Jacques : Ceux qui ont un bout de terre la cultivent…

Son Maître (insidieux) : Et les semences seraient gratuites pour eux ?

Jacques : Bien sûr, la première fois. Ensuite chacun garde ses graines pour semer l’année suivante.

Son Maître : Et ceux qui logent au 5ème étage d’une tour HLM ?

Jacques : Mon bon Maître, lisez mieux Confluences 81 ! On peut cultiver n’importe où : sur un toit (plat), un balcon, une terrasse, un rond-point urbain. On peut aménager des « jardins partagés », on peut échanger notre nourriture contre des services rendus à celui qui nous l’offre : garde des enfants, aide aux devoirs, bricolage…

Son Maître : Et ceux qui ne mangent que du caviar et des ortolans à tous les repas ?

Jacques : Leur médecin les mettra à la diète !

Son Maître : Soit ! Mais ceux dont le métier consiste à nourrir les populations des grandes villes – il en faudrait à coup sûr, dans ton système ! – comment seraient-ils payés ?

Jacques : Ils recevraient comme tout un chacun, les biens communs qui leur sont indispensables : eau, électricité, éducation, culture, santé…

Son Maître : Prenons un cas concret : je suis maraîcher et mon motoculteur ne marche pas à l’eau de pluie…

Jacques (s’esclaffant) : La plaisante chose que de vous imaginer derrière un motoculteur !

Son Maître : Te moquerais-tu de moi ? Réponds plutôt à ma question !

Jacques : Que nenni ! La réponse est simple : l’essence serait gratuite, elle aussi !

Le soir avançant et la fatigue aidant, le Maître devint taciturne. Ils se mirent en quête d’une auberge où dîner et se loger moyennant… quelques poignées d’euros. Avisant l’air sombre et méditatif de son Maître, Jacques comprit que cette conversation aurait des suites.

Candida ROUET (à suivre !)