A69 et État de droit


Lettre ouverte à M. le député TERLIER et aux autres élu.e.s qui se croient au-dessus des lois


Dans le dossier de l’autoroute « Pierre Fabre », la décision du Tribunal administratif de Toulouse présente un caractère historique à un double titre. D’abord, parce que le Tribunal a montré son indépendance, malgré les pressions constantes des porteurs de ce projet pompidolien, et son impartialité, en appliquant tout simplement la loi. Ensuite, en tenant en échec, la pratique du fait accompli qui consiste à réaliser des travaux alors que l’on sait, depuis le début que les autorisations administratives sont atteintes d’un vice irrémédiable. Atosca et ses tenanciers ont joué avec le feu. Ce
n’est pas la faute du tribunal s’ils se sont brûlés.

Mais, les auteurs de ces lignes – qu’ils soient ou non impliqués dans la lutte contre ce projet – sont sidérés de lire les propos de certains élus contre une décision de justice.
Attaque ad hominem (ou plutôt ad feminem parce que la rapporteuse publique est une (jeune) femme, elle serait incapable de traiter le dossier), remise en cause de l’Etat de droit et affirmations que les élus seraient les seuls détenteurs de l’intérêt public, en oubliant au passage que de trop nombreux élus entretiennent des liens directs ou indirects avec les intérêts privés qui profiteront de ce projet qui ne sera
viable qu’en raison d’un apport déraisonnable d’argent public.
Cerise sur le gâteau, certains parlementaires, et en premier lieu M. Terlier, député du Tarn, menacent de faire adopter une “loi de validation” pour briser la jurisprudence du Tribunal administratif.

Alors permettez-nous de rappeler quelques évidences que nous empruntons à quatre hauts-magistrats qui ont lancé une alerte dans les colonnes du Monde (7 mars 2025).
Si l’État de droit est une contrainte qui s’impose à tous, c’est pour assurer le maintien de la paix civile.
Comme le rappelle Rémy Heitz, procureur général près de la Cour de cassation, au-delà du contrat social, c’est un “contrat moral” car “l’État de droit, c’est le bouclier de nos libertés”. S’il suffit pour un groupe privé de faire passer une loi de complaisance, nous serions face à une pratique de simonie et une dérive ploutocratique inquiétante.
De son côté, Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, nous rappelle que “le premier acteur de l’Etat de droit, c’est l’administration”. Et c’est le reproche que l’on peut faire à l’ “administration” préfectorale dans le dossier A69 : ne pas avoir tenu compte des signaux d’alertes lancés par différentes autorités, agences environnementales ou commissions indépendantes.
Avec Christophe Chantepy, président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, il faut marteler que “l’Etat de droit aujourd’hui, ce n’est pas seulement le respect de règles formelles, c’est aussi le respect des droits fondamentaux substantiels qui peuvent être opposés à la volonté de la majorité”.

A supposer que M. Terlier et consorts expriment la volonté de la majorité, cela ne les affranchit pas du respect des règles légales qu’ils ont eux-mêmes adoptés au Parlement et surtout de la Constitution qui garantit l’Etat de droit. Quant aux règles supranationales, il convient de rappeler que la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’Homme (CEDH) consacre la notion de “prééminence du droit”. Dans les sociétés démocratiques et protectrices des droits et libertés fondamentales d’Europe, ce concept assure la sécurité juridique et protège contre l’arbitraire des détenteurs du pouvoir qu’il soit politique ou économique.
Quant aux critiques véhémentes contre le carcan réglementaire qui empêcherait tout projet, nous nous reconnaissons dans l’affirmation du vice-président du Conseil d’Etat lorsqu’il constate “qu’il y a des acteurs qui ont un intérêt à ce que certaines normes ne s’appliquent pas pour des raisons économiques, politiques,philosophiques”. De même, M. Chantepy a décrypté vos manœuvres lorsqu’il constate que “Il y a des agendas politiques ou économiques qui conduisent, pour de diverses raisons, à avancer l’idée que l’État de droit empêcherait d’agir”. C’est oublier un peu vite que les règles qui s’imposent à tous sont issues de lois ou de traités qui résultent d’une décision du souverain, c’est-à-dire le peuple (article 3 de la Constitution), et non à quelques financiers planqués dans des paradis fiscaux ou des industriels qui se comportent comme des “maitre de forges” .
Pour conclure, laissons la parole au Premier président de la Cour de cassation, Christophe Soulard qui souligne cette évidence : ” Lorsqu’on met en cause la légitimité du juge, on fragilise l’ensemble du système : à partir du moment où on peut commencer à s’en prendre à l’une des institutions de l’État de droit, pourquoi les critiques s’arrêteraient là ? Il y a un effet domino dans la mise en cause des différents piliers de la démocratie”.
Et ne venez pas nous dire que votre légitimité serait plus forte car vous avez été élus. Là encore, le président Soulard vous donne tort en affirmant que “le juge à appuyer sa légitimité sur la qualité des débats qui conduisent aux décisions prononcées et sur la prudence qui marque ces dernières. Le processus juridictionnel, c’est le contraire des réseaux sociaux : on n’est jamais dans la surenchère, on est toujours dans la vérification des faits, on est dans le débat des arguments rationnels. C’est en cela que les juridictions sont, profondément, des lieux d’apaisement social”.

Alors, Messieurs et Mesdames les parlementaires, laissez la justice travailler dans le cadre d’un débat contradictoire et rationnel. Foin d’émotions et de déclarations éruptives. Vous devriez respecter les juges comme vous devriez respecter les citoyens qui sont vos électeurs.

Et comme cela, tous ensemble, nous défendrons et l’Etat de droit et la démocratie, quoi qu’il en coûte aux investisseurs de l’A69.

LISTE de signataires
Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris,

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