L’acteur Samuel Churin, membre de la Coordination des intermittents et précaires, participe à l’occupation du théâtre de l’Odéon, à Paris, depuis le jeudi 4 mars. Alors que de plus en plus de salles de spectacles connaissent le même sort dans toute la France, il analyse et précise les revendications d’un mouvement qui prend une ampleur inédite.
Lundi 8 mars, la police est intervenue aux abords du Théâtre de l’Odéon, occupé depuis le jeudi 4 mars. Que s’est-il passé exactement ?
Samuel Churin – Une sacrée entourloupe… Depuis le début de l’occupation, nous organisons des agoras, tous les jours à 14 heures, pour que les citoyens devant la salle échangent avec les intermittents à l’intérieur. Ce jour-là, le 8 mars, avait lieu une grande manifestation féministe à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Nous avons décidé de décaler l’heure de notre agora à 16 heures afin que la manifestation puisse passer devant le théâtre. Et, à 16 heures, la police est arrivée pour verbaliser celles et ceux qui s’approchaient du théâtre sous prétexte que nous n’avions rien déclaré à cette heure-là à la préfecture. Heureusement, la presse s’en est mêlée et la police est repartie dès que les premières images ont circulé sur les réseaux sociaux. Cela peut paraître anecdotique, mais il faut retenir que le gouvernement fera tout pour empêcher la convergence des luttes. C’est ce qu’il redoute le plus, comme d’habitude.
Combien de personnes occupent l’Odéon actuellement ?
Soixante environ.
Qui sont elles ?
Des intermittents du spectacle, mais aussi des intermittents de l’emploi au sens large ; ce qui me ravit. On entend beaucoup parler des intermittents du spectacle, et c’est très bien, mais derrière eux, se trouvent tous les intermittents de l’emploi – les guides conférenciers, les extras dans l’hôtellerie et la restauration, celles et ceux qui travaillent dans l’événementiel… -, tous ceux qui ont l’habitude de travailler dans le cadre des CDD dits d’usage. Ces intermittents-là représentent plus d’un million de personnes en France. Ils n’ont pas profité de l’année blanche, contrairement aux intermittents du spectacle, et ils n’ont pas profité du chômage partiel contrairement aux salariés en CDD et en CDI. Et c’est notre devoir de nous battre pour eux. Aujourd’hui, ils basculent tous les uns après les autres au RSA dans un silence assourdissant.
Quelles sont vos revendications ?
Nous demandons une année blanche pour tous les intermittents et sa prolongation d’un an, la réouverture des lieux de culture et l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage, repoussée au 1er juillet, qui va représenter un véritable massacre social…
N’est-ce pas trop de combats en même temps ?
Non, au contraire. Les intermittents du spectacle doivent comprendre que leur sort est lié à ceux de tous les intermittents de l’emploi. Il y a peu de chances que nous obtenions la prolongation de l’année blanche si tous les intermittents de l’emploi ne sont pas indemnisés. Le gouvernement défendra sa position en disant “regardez tous les intermittents en CDD d’usage, estimez-vous heureux ; eux ont fourni de vrais efforts…” C’est ainsi qu’ils nivellent par le bas, comme toujours.
Que va-t-il se passer si vous n’obtenez pas ce que vous demandez ?
Nous occuperons tous les théâtres de France. Ils sont déjà en train de tomber : la Colline et la Comédie Française à Paris, le TNS à Strasbourg, le théâtre Saragosse à Pau… Ça ne fait que commencer.
Quel sens donnez-vous à la fermeture des lieux de culture par le gouvernement ?
Un sens politique. Tout le monde a bien compris que cette fermeture n’avait pas de raison sanitaire. Même le médecin Jean-François Delfraissy, qui n’est pas l’ennemi d’Emmanuel Macron, a déclaré par trois fois que la fermeture des lieux de culture n’était pas une préconisation du Conseil Scientifique. Même le Conseil d’Etat a reconnu que les lieux de culture étaient les lieux fermés les moins contaminants… Bien moins que les églises.
Mais pourquoi, alors, ont-ils fermé les lieux de culture ?
C’est un arbitrage en faveur du système marchand. Tout ce qui est immatériel est laissé de côté. Ils considèrent que les femmes et les hommes qui produisent de la valeur marchande peuvent prendre le risque d’être contaminés – dans les transports, dans les restaurants d’entreprise… Le gouvernement répond aux demandes de ceux qui l’ont mis en place. Ils travaillent plus pour Bouygues et Bolloré que le théâtre de l’Odéon… J’aimerais simplement qu’ils sortent du bois. Depuis le début, ils masquent leurs choix politiques derrières des soi-disant contraintes sanitaires. La réalité, c’est qu’ils nous empêchent de travailler… Dans ce cas, qu’ils nous accompagnent correctement.
Roselyne Bachelot est venue à l’Odéon samedi. Qu’en avez-vous retenu ?
J’ai été très déçu par Roselyne Bachelot. Quand elle est arrivée au ministère de la Culture, je me suis dit que ce n’était pas forcément une mauvaise nouvelle. Voilà quelqu’un dont la vie politique est plutôt derrière elle – sans lui faire offense. Elle ne correspond pas au profil du jeune loup prêt à gravir tous les échelons, type Gérald Darmanin. Donc je me disais qu’elle n’avait rien à perdre. Elle aurait pu faire une déclaration pour les intermittents. Elle aurait pu prendre un risque, quitte à ne pas jouer la solidarité gouvernementale. Et démissionner, si elle n’avait pas eu ce qu’elle demandait. Elle en serait sortie grandie. Mais elle a choisi de se ranger derrière Bercy, Matignon, l’Elysée. Et elle pleure en disant qu’elle fait des efforts. Elle a perdu toute crédibilité à nos yeux.
Raison pour laquelle vous demandez à parler au Premier ministre Jean Castex.
Le seul à pouvoir faire bouger les choses, c’est Emmanuel Macron. En mars dernier, il ne voulait pas nous accorder l’année blanche. Plus de 250 artistes ont signé une tribune dans le journal Le Monde – Catherine Deneuve, Omar Sy, Jeanne Balibar… Et c’est suite à ce texte que le président a choisi de tout débloquer.
Comment voyez-vous l’avenir pour le spectacle vivant en 2022 et 2023 ?
Une hécatombe. Au-delà des considérations économiques dont nous avons parlé, de très nombreux spectacles ne verront jamais le jour ; en particulier ceux qui sont actuellement en création.
Propos recueillis par Igor Hansen-Love