ACCUEIL ET DÉSACCUEIL DES MINEURS ISOLÉS
ÉTRANGERS DANS LE TARN
L’été aura été profitable au Conseil Départemental : suite aux évaluations et aux tris auxquels
il a fait procéder, il s’est débarrassé de la très grande majorité des mineurs isolés étrangers qui
étaient à sa charge, ou sous sa responsabilité, ces mineurs isolés que l’on appelle désormais des
MNA1 et dont le Conseil départemental du Tarn a fait des SDF, ou pire encore. Pendant l’été,
période propice pour faire en catimini les vilenies les plus basses, le Conseil départemental aura fait
évaluer 81 jeunes, 75 seront déclarés majeurs, soit 92,6 %. Pour qui pratique une politique du
chiffre, c’est une belle réussite, une opération gagnante. Car 75 jeunes déclarés majeurs, ça veut dire
75 jeunes dont le Conseil départemental n’aura pas à assurer la prise en charge… Ça veut dire aussi
de substantielles économies pour le Département (elle seraient estimées à 1, 8 millions…). Mais 75
jeunes déclarés majeurs, ça veut dire encore 75 jeunes mis à la rue, livrés à eux-mêmes, privés de
leurs droits fondamentaux, privés des moyens nécessaires pour faire les recours leur permettant de
contester la décision prise à leur encontre2.
MNA : bienvenue dans le Tarn !
Revenons quelque peu sur le contexte de cette opération massive de tri. Dans la législation
française, la prise en charge des mineur.e.s incombe au Conseil Départemental via les services de
l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), que ces mineur.e.s soient ou non étrangers-ères, puisque
concernant les mineur.e.s c’est leur minorité qui prime sur toute autre considération. Enfin, en
théorie, et avant que la loi n’évolue, ou plutôt ne régresse, dans un sens contraire3. Dans les faits,
le/la mineur.e étranger-ère subit un traitement particulier : avant une prise en charge effective, on
commence par s’assurer 1/ qu’il/elle est bien mineur.e 2/ qu’il/elle est bien isolé.e. Ces dernières
années, devant le nombre croissant de MNA qui arrivent dans les départements, l’évaluation est
devenue la priorité, et les travailleurs-euses du social ont vu leurs missions s’infléchir pour les
transformer en flics : à la protection et l’accompagnement se substituent l’évaluation et la suspicion.
Sur le terrain, ça donne des résultats désastreux, tant pour certain.e.s travailleurs-euses du social que
pour les jeunes soumis.e.s à ces mesures de tri.
Le Tarn n’échappe pas à cette situation, et à ce désastre humain. Quelle est la situation dans
notre département ? Dans le Tarn, comme dans d’autres départements, le nombre de mineurs isolés
étrangers a certes sensiblement augmenté : au 1er janvier 2018, le Tarn comptabilisait 95 arrivées de
MNA, 60 de plus qu’en 2017 à la même date. De là à dire qu’il y a une « arrivée massive », il y a un
grand pas, voire un fossé, que franchit allègrement le Conseil Départemental, peu enclin à accueillir
et obnubilé par la nécessité de « désengorger » ses services. La prise en charge effective de ces
jeunes passe en second lieu. On se contente de les mettre à l’abri dans des hôtels où ils sont plus ou
moins bien pris en charge (parfois très bien, et c’est une chance pour eux, parfois très mal, et c’est
déplorable). Certains resteront dans ces hôtels plusieurs mois, souvent privés de leurs droits, leur
droit à une scolarité, leur droit à des titres de transport, leur droit à un suivi médical et
psychologique. Des conditions qui aggravent les traumatismes qu’ils ont subis pendant leur long et
périlleux périple : Bienvenue en France ! Bienvenue dans le Tarn !
1 Depuis mars 2016, le signe MNA, Mineurs Non Accompagnés, remplace MIE, Mineurs Isolés Étrangers.
2 Pour les jeunes évalués dans le Tarn, nous utilisons le seul masculin car, à notre connaissance, aucune fille mineure
ne s’est présentée pour demander une protection.
3 Depuis la fin de l’année 2017, est envisagé et discuté un transfert de compétences des Départements vers l’État
pour la prise en charge des mineurs étrangers. Cela consisterait à créer une différence de traitement entre les
mineurs étrangers et les mineurs non étrangers, différence contraire à la Convention Internationale des Droits de
l’Enfant.
Les joies de l’évaluation
Que le Conseil départemental du Tarn soit débordé et dépassé, nous pouvons le reconnaître.
Ce que nous n’admettons pas c’est qu’au lieu de se battre pour obtenir des moyens supplémentaires
afin d’assurer un accueil digne, le Conseil Départemental ait choisi d’évaluer et de trier, avec pour
objectif cynique de se « débarrasser » d’un maximum de jeunes sous le prétexte qu’ils seraient
majeurs, histoire précisément de « désengorger » ses services… et de faire des économies. Une
politique administrative du chiffre au détriment d’une politique humaniste des droits. Pour mener à
bien cette opération de « désengorgement », le Conseil Départemental a requis les services du
DDAEOMI4, un dispositif d’évaluation mis en place par l’ANRAS5 dont les conséquences
désastreuses pour les jeunes se sont déjà manifestées en Haute-Garonne, en Ariège et dans le Gers6.
Ce dispositif a donc sévi dans le Tarn tout l’été sous le nom de DEE81 (Dispositif
Expérimental d’Évaluation). Son but est clairement de trier les jeunes, objectif réussi, ce qui
autorise le Président du Conseil Départemental tarnais, Christophe Ramond, à en louer l’efficacité ;
à la fin de l’été, sur les 81 jeunes évalués, seuls 6 seront reconnus mineurs7. Cette évaluation
s’inscrit dans un cadre qui pour être légal n’en est pas moins inhumain, ce que dénoncent les
collectifs d’aide aux sans papiers. Mais le DEE81 va plus loin encore et s’autorise des pratiques qui
le mettent hors la loi : certains jeunes sont privés de l’interprète auquel ils ont droit ; les papiers
d’identité dont certains disposent sont systématiquement mis en doute alors même qu’ils ont parfois
été authentifiés8 ; les propos tenus par les jeunes sont déformés dans un sens qui leur est toujours
défavorable… Et puis l’inhumain se cache aussi dans des détails et certaines pratiques sont
tristement ridicules : à leur arrivée au DEE81, les jeunes se voient prêter une paire de vulgaires
tongs, « prêter » ai-je bien écrit, car à leur sortie il leur est demandé de restituer ce dérisoire
accessoire. Et puis ce n’est pas tout, quand on les congédie, on le fait avant midi, histoire de
s’économiser un repas, et on les met dehors dans le plus grand dénuement, sans même une bouteille
d’eau… Quand il fait parfois plus de 40°C, ça frôle la mise en danger. On leur dit bien qu’ils
peuvent faire un recours mais sans leur indiquer ni auprès de qui ni comment procéder : vous avez
survécu à la traversée de la Libye, vous saurez bien vous débrouiller dans le dédale administratif
français même si vous en maîtrisez mal la langue ! On leur donne bien le numéro du 115, mais ce
dernier les considère mineurs et, à chaque appel, leur rétorque qu’ils dépendent de l’ASE…
Préfecture et Conseil départemental jouent au ping-pong avec ces jeunes, la balle (soit les jeunes) au
centre, dans la rue.
« Paroles, paroles, paroles »
Interpellé sur ces pratiques qui maltraitent les jeunes et bafouent leurs droits, le Président du
Conseil départemental tarnais reste droit dans ses bottes : satisfait des résultats obtenus, il affirme
« manifester toute [sa] confiance aux professionnels chargés de la mission d’évaluation », et
notamment à l’ANRAS, qui, après la Haute-Garonne, l’Ariège, le Gers et le Tarn, entend vendre
son dispositif d’évaluation rémunérateur à d’autres départements. Cette attitude du Conseil
départemental, les pratiques qu’il cautionne et met en oeuvre concernant les MNA entrent en totale
contradiction avec les propos que tenait Christophe Ramond en mars 2018 lors d’une entrevue
accordée aux collectifs qui viennent en aide aux sans papiers. Il affirmait alors vouloir associer ces
4 DDAEOMI : Dispositif Départemental d’Accueil, d’Évaluation, d’Orientation des Mineurs Isolés,
5 ANRAS : Association Nationale de Recherche et d’Action Solidaire,
6 Un premier service d’évaluation, le SEHO (Service d’Évaluation, d’Hébergement et d’Orientation) avait été mis en
place dans le Tarn en novembre 2017, mais ces pratiques trop humaines le rendaient inapte à atteindre les objectifs
de désengorgement visés par le Département.
7 Ces chiffres sont ceux dont nous disposons, ce ne sont pas les chiffres officiels du Département qui se refuse à nous
les communiquer de manière claire et précise.
8 Ce qui est contraire à l’article 47 du Code Civil selon lequel « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers
fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ».
collectifs à la cellule spécifique MNA qui se mettait en place au sein du Département, il s’engageait
à communiquer aux jeunes que le Département cesserait de prendre en charge les coordonnées de
ces mêmes collectifs afin que ceux-ci puissent leur venir en aide. Dans les faits, il n’en fut rien. Il
faudra un courrier, envoyé à la mi juillet au Président du Conseil Départemental et dénonçant les
pratiques mises en place, pour que figurent enfin, sur le document remis aux jeunes à leur sortie du
DEE81, le numéro d’avocat.e.s et les coordonnées de collectifs de soutien tarnais. Mais comme il
ne faudrait pas trop les renseigner tout de même, pour un collectif l’adresse donnée est erronée,
pour un autre il n’y a pas de numéro, simplement une adresse électronique ; quant au dernier, celui
qui a interpellé le Conseil départemental, il ne figure pas sur le document remis aux jeunes, trop
« gauchiste » sans doute.
Le Tarn, terre d’accueil
« Le Tarn est une terre d’accueil », annonçait fièrement Christophe Ramond, lors de cette
entrevue avec les collectifs de soutien aux sans papiers. « L’accueil », ce n’est certainement pas le
Conseil Départemental qui le pratique, on n’accueille pas quand on met sans scrupules ni état d’âme
75 jeunes à la rue. Pourtant, dans le Tarn, comme ailleurs en France, il y a bien un accueil. Grâce à
l’aide précieuse de certaines personnes préoccupées par le sort de ces jeunes reconnus majeurs et
jetés à la rue, RESF81 a pu entrer en contact avec une vingtaine d’entre eux. Des démarches ont
alors été entreprises pour contester la décision prise à leur encontre : saisine directe de la juge des
enfants, nous attendons désormais qu’elle leur donne audience. Mais il fallait aussi loger ces jeunes
que ne veulent ni le 115 ni l’ASE. Un appel à hébergement solidaire a été lancé et il s’est avéré que,
oui, dans le Tarn, comme ailleurs en France, il y a bien un accueil, celui de dizaines de familles et
personnes qui, cet été, ont généreusement ouvert leur porte à ces mineurs que le Département
rejette, des personnes qui sont aujourd’hui heureuses de partager le quotidien de ces jeunes, de les
accompagner, les soutenir, des personnes qui ne raisonnent ni en « flux » ni en « taux, ni « en
chiffres », des personnes qui voient leur propre humanité se dessiner sur les visages de ces jeunes et
qui se paient des sourires qu’ils leur rendent.
Bérengère