Dossier SIVENS, Rouge & Vert n°384 (novembre 2014)

Depuis septembre, Rouge et Vert a réalisé plusieurs articles sur la question du barrage du TESTET, dans la forêt de SIVENS.
Nous en commençons la publication ici
Voici, tout d’abord, le dossier publié dans Rouge & Vert n°384 :

112 page 4 tester le changementDepuis plusieurs années, Les Alternatifs 81-12 suivent attentivement le dossier du projet de barrage de SIVENS. Depuis quelques mois les évènements se sont accélérés ouvrant vers une médiatisation de cette lutte.
La mort tragique d’un jeune manifestant, le jour où une “marche nationale de réappropriation des lieux” était organisée, donne une autre dimension et à la lutte et au dossier.
Mensonges à tous les étages, petits arrangements entre amis, dossier d’enquête publique mal ficelé, projets alternatifs non pris en compte, faiblesses du montage financier, interrogations sur la destination réelle de l’ouvrage, sont quelques uns des points forts qui sont à présent dans le débat public et auxquels personne ne peut plus échapper, ni les pouvoirs publics, ni les commanditaires. A cela s’ajoutent, outre la question des violences policières, celles de la démocratie dans la prise de décision, celles de l’agriculture pour demain, de l’aménagement du territoire. Questions qui sont au cœur des problématiques que portent Les Alternatifs. Nous avons choisi de donner la parole en priorité à des acteurs de cette lutte multiforme. Nous ne traitons pas de tout : la place manquerait. Tous ne sont pas là, mais celles et ceux qui interviennent dans ce dossier ont des faits à rapporter, des premières analyses à donner, des convictions à défendre.

 Les Alternatifs 81-12

Chronique d’une mort annoncée ! Edito

On vous l’avait pourtant bien dit ! Et même seriné depuis plus d’un mois !
Toute personne passant quelques heures sur le Testet pouvait le sentir de façon très sensible. Il suffisait d’ouvrir les yeux (et les oreilles !) pour comprendre que les brutalités et les insultes des forces dites de l’ordre annonçaient que l’irréparable arrivait au galop.
Mais la volonté de ne rien voir ni entendre – et encore moins celle d’écouter – des chefaillons politiques Tarnais, trop obnubilés par leurs intérêts, confondus sciemment avec ceux de leurs petits copains (coquins ?) indiquait clairement, par delà la destruction de la dernière zone humide du département, celle des hommes, des femmes et de tous ces jeunes zadistes qui se sont levés pour empêcher ce massacre.
usqu’à l’entêtement « relativement stupide et bête » ! Jusqu’à susciter les violences policières ! Jusqu’à la mort ? Oui, jusqu’à la mort, celle d’un gamin spécialiste des renoncules !
La mort, conséquence ultime de la politique du passage en force, du refus de débattre et de remettre en question ses certitudes et ses méthodes de voyous, dans le mépris le plus total de la démocratie. Laquelle, faut-il le rappeler, s’incarne dans une charte intitulée « Citoyenneté et Démocratie Participative » et adoptée par le Conseil Général du Tarn il n’y a guère plus de 3 ans : mais le chemin est long des paroles (voire des écrits) aux actes !
Souhaitons que ce mépris des citoyens et des jeunes, vite qualifiés de « casseurs » (à remarquer qu’ils sont toujours d’extrême gauche et jamais d’extrême droite !) ne se développe pas sur les autres ZAD !
Jusqu’à l’élimination physique !
On peut en douter. En effet ce « modèle » de société dans laquelle nous vivons est à bout de souffle et n’a d’autre issue que la violence institutionnelle pour imposer au plus grand nombre ses projets néfastes. Ne peut-on hélas s’attendre à d’autres victimes, à Notre Dame des Landes ou ailleurs ?

Candida Rouet

A SIVENS, Rémi est mort

 C’est peu dire que je suis bouleversé par les dernières nouvelles, même si rien ne permet, pour l’heure, de savoir de quoi Rémi est mort. Il reste que sur un lieu de confrontation, de manifestation, d’opposition… on a retrouvé à 2 heures matin le corps d’un homme. Cela devrait ramener à de plus justes proportions l’envie des uns et des autres de se faire un nom dans l’histoire des grands projets locaux, ou des bénéfices engrangés. La mort, en définitive, est la seule vraie réalité, puisqu’elle nous attend tous, a pris nos aïeux, prendra nos enfants. En cela elle a quelque chose d’une profondeur sans borne, dans cette césure totale qu’elle nous infligera tôt ou tard, les infinies douleurs qu’elle nous inflige déjà. Car c’est à sa mesure qu’il faut évaluer ce après quoi nous courons. Nous passerons tous, le monde demeurera à jamais, infiniment plus fort que nous. Ceux qui veulent édifier des barrages ici, des empires là, ne sont rien et ne laisseront rien. Ceux qui se seront contentés de rappeler aux premiers que nous sommes solidaires, tous passagers d’un même vaisseau, soudés les uns les autres, quelque conscience que nous en ayons… laisseront au fond de nos cœurs le rappel et la gratitude d’être des frères et sœurs, enfants d’un même tourbillonnant et insondable mystère dont nous faisons partie, et qui nous emporte, au-delà de nos vies misérables, dans l’immense communion de tout.
A bientôt, le cœur lourd,

Jérôme VIALARET

Intervention de Rémy SERRES au rassemblement contre le barrage,
le 25 octobre 2014 dans le Tarn

Rémy Serres, Paysan, éleveur de brebis, fondateur de la « 4acg » (Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre), milite pour une agriculture raisonnable et respectant l’écologie. A 77 ans il se soucie avant tout du devenir des futurs paysans
Depuis que la bataille du Testet a commencé, plein de questions m’interrogent.
D’abord, ces 40 hectares de terres qui vont disparaître sous l’eau.
40 hectares de très bonne terre, des terres d’alluvions qui pourraient faire de très beaux jardins…
A la vue de cette vallée, je dirais simplement que sur ce terrain nous pourrions installer une
vingtaine de maraîchers qui à eux seuls nourriraient la ville de Gaillac et même plus.
Noyer cette vallée est un crime. Nos enfants nous le reprocheront…
Je reviendrai tout à l’heure sur l’agriculture mais je voulais parler aussi de cette violence que les gendarmes emploient contre depuis début septembre.
Entre nous, ils ont l’air plus à l’aise sur le bitume que dans les champs ou les forêts. Mais, les coquins ils s’adaptent très vite : quand ils courent avec leurs bottes jusqu’aux genoux, on dirait des pingouins !!
Plus sérieusement, ces gens là me font peur. Moi même, j’ai été plaqué au sol pendant un certain temps.
Et pour que je ne parte pas, un de ces costumés a été désigné pour me garder.
Personnellement, je n’avais pas tellement envie d’engager la conversation mais au bout d’un moment, c’est lui qui se met à parler. « Je vais quitter ce métier » me dit-il. Me voyant étonné, il poursuit : « On nous demande de faire des actes de plus en plus durs, je veux partir ».
Mais rassurez-vous !!! Il va en rester !! J’ai rencontré aussi ce chef qui m’empêchait de passer et qui, lui, n’est pas prêt de partir !! Je lui ai dit que nous ne sommes pas des brigands, que nous défendons la nature. Et il me répond : « Nous sommes ici pour faire respecter l’ordre er nous sommes aux ORDRES ».
Quand ce chef m’a dit « nous sommes aux ordres », je suis revenu 50 ans en arrière : c’était la guerre d’Algérie. Nos chefs étaient aux ordres et quels ordres !! Tuer, torturer, brûler, violer : ils étaient aux ordres…. !
Le temps a passé mais les ordres sont toujours les ordres et si demain ces messieurs ont l’ordre de nous tirer dessus avec des balles réelles, cela fera plus mal que les balles de caoutchouc.
D’autant plus que ces gens là n’ont pas le droit de réfléchir. A la guerre, on nous disait : chercher à comprendre, c’est commencer à désobéir.
Et tout cela m’aide à comprendre comment pendant la guerre de 45 la police a pu faire des rafles des indésirables : ils étaient aux ordres.
Revenons à l’agriculture. Si nous continuons à cette cadence à détruire de la terre agricole pour faire des golfs, des autoroutes, des barrages, des zones industrielles, dans 100 ans, cette terre agricole aura disparu. Car tous les 7 ans, l’équivalent d’un département français est volé à l’agriculture.
Et d’ailleurs, aujourd’hui, pourquoi veulent-ils ce barrage ?
La réponse n’est pas très claire.
La plus vraisemblable serait pour arroser le maïs et faire quelques quintaux de plus à l’hectare.
Faut-il faire plus de rendement : les derniers quintaux sont toujours les plus chers et les plus polluants.
Et puis, faut-il faire plus de maïs ? Nous faisons déjà trop de maïs, trop de céréales. Nous les exportons et ainsi nous ruinons les paysans de ces pays. Comment ces paysans pourraient-ils lutter contre nos prix ? Comment pourraient-ils lutter contre notre agriculture subventionnée et mécanisée ?
Les paysans sont donc obligés de quitter leurs fermes et vont souvent grossir les bidonvilles.
Revenons au barrage.
De tout temps ou du moins du temps que je me souvienne, les paysans n’ont pas attendu que les conseillers généraux leur disent qu’il fallait stocker l’eau : ils faisaient des citernes et des marres.
Alors messieurs les petits technocrates, laissez nous avec notre sagesse et notre savoir faire.
Nous sommes assez grands pour savoir ce que nous devons faire.
Et si nous nous réunissions, les paysans de la vallée du Tescou et décidions ensemble si nous avons besoin de retenues d’eau collectives ou individuelles.
Mais que l’on ne vienne pas d’Albi, de Paris ou de Bruxelles pour nous dire ce que nous devons faire.
A travers le refus de ce barrage, nous disons aussi non à cette agriculture productiviste. Cette agriculture qui nous interroge sur plusieurs points :
A partir des années 1960, la France agricole avait assez de denrées : légumes, céréales, lait, fruits, viandes pour nourrir ses habitants.
Pourquoi nous n’en serions pas restés à ce stade : les paysans étaient nombreux, les fermes étaient moyennes, pas trop polluantes. Nous ne vivions pas trop mal sans prime ni subvention.
Alors pourquoi cette marche en avant a continué : tout simplement parce que la machine profit était en marche !!
Cette machine s’appelait Crédit Agricole, INRA, industrie agro-alimentaire, marchands de
machines, d’insecticides, de pesticides, et tout ce monde voulait continuer à s’enrichir sur le dos des paysans.
Les paysans, poussés par la grande FNSEA ont été pris dans la tourmente.
Ils ont contribué à enrichir tout ce monde qui tournait autour de l’agriculture ; mais eux, on les a poussé à s’endetter au point d’en crever : tous les 2 jours, un paysan se suicide en France. La FNSEA en accord avec les gouvernements a bien contribué à vider les campagnes. A
ucun syndicat n’a été aussi fort pour éliminer ses adhérents ou les envoyer en ville. Durant les années 70, elle a même inventé l’IDV (Indemnité Viagère de Départ). Une prime pour que les paysans arrêtent d’exploiter dès l’âge de 55 ans.
Par contre, aucun encouragement de ce même syndicat pour que des jeunes s’installent à la terre. Eh oui ! A l’époque on avait besoin de main d’œuvre dans les usines et d’une main d’œuvre endurante, travailleuse et docile…
Et pendant ce temps, les fermes sont devenues des usines et le monde paysan a disparu.
Plutôt que de faire encore un barrage, faisons pression pour redistribuer cette terre nourricière.
Faisons pression, même si ce mot fait peur, pour une réforme agraire.
Celui qui a 100 hectares, il serait le même si on lui en prenait 10 pour installer 10 maraîchers.
Pour conclure, je voudrais dire à ceux qui veulent tout gérer que nous sommes là et que nous aussi nous avons notre mot à dire.
Nous allons décider ensemble s’il faut un barrage ou pas.
Nous voulons décider avec vous comment nous voulons vivre, et comment nous devons entretenir cette nature, cette planète.
Nous voulons, avec vous, voir si les richesses eau, air, terre, argent, peuvent être mieux partagées entre riches et pauvres.
N’attendons surtout pas que les élus nous proposent des solutions. Les solutions, c’est nous, le peuple, qui devons les trouver, les proposer et forcer la main à nos élus pour changer ce monde.
Sivens révélateur local d’une crise globale
Au-delà d’un projet de barrage contesté, Sivens est révélateur d’une cassure profonde des fondements de notre société. Symptomatique d’une rupture entre ses représentants politiques et les citoyens contraints de subir, dans une réalité souvent difficile, des décisions aux motivations floues, arbitraires ou à revers le l’intérêt commun. Des représentants politiques enfermés dans des logiques d’appareils, pratiquant une gestion à vue, sans aucune vision à long terme, sans aucune forme de responsabilité politique, sans aucune considération pour le réel intérêt général, sans aucune considération pour la démocratie invoquée de façon incantatoire, assis dans le confort de cycles d’élections/ré-élections, cumulant les mandats, s’ordonnant administrateurs le cas échéant le temps d’une pseudo alternance, ces représentants du pouvoir coupent les derniers liens avec les citoyens qu’il sont censé représenter.
C’est bien ce qui s’est passé dans le département du Tarn, historiquement acquis à une majorité dite de gauche, où le conseil général par l’intermédiaire de son président M. Carcenac, soutenu par la préfecture, s’est autorisé à imposer un projet de barrage. Un projet proposé en 2001 dont l’étude de réactualisation effectuée en 2009 a été falsifiée. Ont été oubliées les données invalidant la taille du projet en la divisant par 3 : forte réductions des pollutions industrielles sur le cours d’eau, moins de terres irriguées et mise en place de quotas de consommations d’eau, cette dernière donnée gonflée par de faux calculs en pourcentages à l’avantage du barrage ; de plus, il n’est proposé aucune alternative. Ces dérives ont été pointées par le collectif Testet et transmises aux élus concernés. Seul une petite minorité a réagi. Ces affirmations sont vérifiables sur le site du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet : www.collectif-testet.org.

A noter que la déclaration d’intérêt général a été décrétée au mépris des conclusions de l’enquête publique dont la conclusion était soumise à l’avis du CNPN (Conseil National de la Protection de la Nature). Ce conseil, saisi par deux fois, a émis, par deux fois, des avis défavorables.*Dans ce cas précis, l’intérêt de quelques uns, promoteurs du barrage, une minorité de maïsiculteurs, se confond avec l’intérêt général. Il est à noter aussi que la démocratie détournée vient servir de caution morale.
Les causes des enchainements dramatiques qui ont abouti, dans la nuit du 25 au 26 octobre, au décès de Rémi Fraisse, 21 ans, militant écologiste, jeune naturaliste passionné de botanique et engagé au sein de réseaux associatifs pour la préservation de notre environnement, sont à chercher dans l’exercice d’un pouvoir hermétique voire autiste, arcbouté sur ces certitudes, ne répondant qu’à la défense de ses intérêts propres et rétif à toute participation citoyenne. Participation perçue par ailleurs comme une entrave, déclenchant un véritable réflexe de défiance.
Cet autisme à conduit à répondre à l’opposition citoyenne par une répression violente, engendrée par une provocation policière quasiment quotidienne depuis début septembre. Il est à rappeler que les collectifs citoyens demandaient un moratoire afin d’instaurer un dialogue argumenté. Pour les opposants au projet, le quotidien des mois de septembre et octobre fût le mépris des autorités et la terreur sur le terrain. Terreur est bien le mot qu’il convient d’employer ici. Menaces, agressions de nuit par des milices autoproclamées pro-barrage, passages à tabac en règle par les forces de l’ordre dés que les médias tournaient le dos, pluies quotidiennes de gaz lacrymogènes et de grenades de toutes sortes, blessures physiques multiples, inculpations arbitraires, expulsions illégales, voilà le quotidien des mois de septembre et octobre. Un exemple significatif : une grenade lancée dans une petite caravane alors que les occupants s’étaient signalés. Une jeune fille sera sérieusement blessée au bras.
Malgré les alertes répétées, malgré la démonstration par témoignages et vidéos des violences inouïes subies par nombre de civils, ni les représentants politiques, ni les autorités ne prêteront cas à ces appels à retenue.
Le mépris va jusqu’à ordonner une expertise le 29 septembre sans stopper les travaux sur le site. A cette date, le déboisement est terminé et commencent les travaux de décapage et terrassement. La majeure partie de la zone humide du Testet, joyau de biodiversité, écrin protecteur de nombre d’espèces en péril, ne s’en remettra pas.
Cet état de fait est aggravé par l’absence de conscience, que nous pouvons relever dans les propos de M. Carcenac au surlendemain du drame « Mourir pour des idées, c’est une chose mais c’est quand même relativement stupide et bête ». Dans cette inconséquence M. Carcenac ne mesure pas que ses paroles engagent la collectivité dont il est l’élu. M. Carcenac n’est même pas conscient que Rémi Fraisse n’avait pas choisi de venir à Sivens pour potentiellement y mourir.
Un autisme révélé également au niveau national et international, nous le constatons aujourd’hui à la façon dont sont réprimés les mouvements sociaux et entravées les alternatives citoyennes. Une inconscience elle aussi révélée au niveau national et international, nous pouvons le percevoir à la façon dont est prise en compte l’alerte majeure lancée par les scientifiques du Giec, expliquant tant que faire se peut que nous courons au désastre climatique, premier domino d’un effondrement général.
Rémi était l’opposé de cette inconséquence et de cet aveuglement. Il était la conscience et l’engagement. La conscience et l’engagement des jeunes générations face à l’inconséquence mortifère des nos soi-disant responsables politiques. Aujourd’hui, nous sommes tous en deuil d’un jeune homme de grande valeur porteur de belles promesses d’avenir. Un avenir non pas réduit à sa personne, mais un avenir à partager par tous. Vouloir offrir un avenir est la plus belle promesse qui puisse être faite. Rémi incarnait tout simplement cette promesse. Et cette promesse d’avenir, l’inconséquence, l’autisme et l’inconscience politique l’ont assassinée.

 Patrice Canal, membre du C.A. Collectif Testet.

SIVENS : le tournant ?

Nous avons interrogé Jean Claude EGIDIO, militant connu et reconnu sur GAILLAC et opposant au barrage depuis des années. Entretien par téléphone vendredi7 novembre
R&V : On a l’impression d’assister, depuis le 25 octobre à un tournant dans la lutte, avec l’assassinat de Rémi FRAISSE d’une part, la remise du rapport des experts et le jeu de Ségolène ROYAL de l’autre ? Qu’en est-il d’après toi ?
JCE : A mon avis également, nous sommes à un tournant. Les discussions vont démarrer dans les jours qui viennent. Que donneront-elles ?
R&V : Ce pourra être, si tu en es d’accord, l’objet d’un prochain entretien. Consacrons-nous donc à ce que pose la mort de Rémi.
JCE : C’est bien un tournant. Pour nous, il s’agit d’une provocation. Voyons-en le scénario. Vendredi soir sur le chantier sont “oubliés” 2 “trucs” un peu incongrus : un générateur et un “algeco”. Dans la nuit du vendredi au samedi, ils vont brûler ce qui va motiver le retour des gardes mobiles. Ceci, alors que des milliers de personnes affluent. Des affrontements ont lieu, dans lesquels on retrouve des personnes qui n’ont rien à voir avec notre lutte. Des affrontements dans lesquels on a pu reconnaitre des gens d’extrême-droite. . .
Il fallait que ce rassemblement nombreux, pacifique, festif, dégénère. C’est ce qui s’est passé, au-delà de ce que l’on pouvait craindre : il y a eu mort d’homme. A mon avis, ils ont été très embêtés, devant la médiatisation soudaine. Il n’y a qu’à voir leurs premières réactions où ils ont cherché à dissimuler la vérité : communiqués flous,(“on a découvert le corps d’un homme. . ., les forces de gendarmerie ont été encerclées, ce sont des explosifs dans le sac . . . “). On a fait savoir qu’on avait des preuves de l’assassinat, qu’il y avait des témoins. . . Il devenait impossible de masquer les causes réelles de la mort du jeune homme. Se concrétisait alors ce Pour qui a assisté aux affrontements depuis septembre, ce qui venait de se passer concrétisait nos craintes, était inévitable. Comme chaque fois en France (cf la mort de Malik OUSSEKINE en 1986), il y a un déferlement émotionnel qui entraine un coup de projecteur médiatique.. Tout à coup, on regarde les choses autrement.. Coïncidence, le rapport des experts tombe quasi en même temps. Rapport qui reprend nos arguments (surdimensionnement du projet, faiblesses du montage financier, enquêtes publiques mal menées. . . ). Ce qui tend à fonder notre lutte, à la valider. C’était une porte ouverte pour l’abandon du projet. Mais, pour des raisons “politiques”, ils ont aménagé une conclusion venant en contradiction avec ce qui précédait : “vu la façon dont les travaux sont engagés, il faut les continuer !”. Forte émotion en France et mobilisations un peu partout, même à l’étranger. J’en retiendrai deux : la mobilisation des lycéens parisiens (et les lycéens ne lâchent pas le morceau facilement !) et ce qui se passe à Rouen, un peu à l’image de ce qui a existé à Albi devant le Conseil Général. Des formes de soutien très claires : refus du barrage et dénonciation des violences policières. On ne sait pas jusqu’où cela va et peut aller.
R&V ; Pour abonder dans ton sens, un témoignage personnel. Nous avons fait ces deux derniers jours deux rassemblements à CASTRES, qui ont rassemblé 40 et 70 personnes de tout âge. Des discussions, des échanges, émerge une impression diffuse “Il faut changer. . .il faut aller jusqu’au bout ». Comme si quelque chose était en train de naitre. Feu de paille ? Mouvement plus durable ? Trop tôt pour le dire. Celà me semble être différent, “dépasser” ce qui s’est passé pour Notre-Dame-des-Landes.
JCE : NDDL est un dossier complexe lui aussi, mais plus directement accessible. Devant l’ampleur de cette prise de conscience, quand on regarde de près et qu’on analyse les différents tenants et aboutissants, on se rend compte que ce n’est pas une simple “protection d’une zone humide”. Dire cela, c’est réduire ce combat à une simple lutte écologique locale. Quand on prend conscience de la malhonnêteté dans la façon dont les choses ont été mises en place par un pouvoir local (et essentiellement par le Conseil Général), du fonctionnement qu’il y a derrière, on est indigné-e-s . On se dit que “on ne peut pas laisser passer çà. On se dit que face à un système qui , depuis des années, s’accommode de petits arrangements, il nous faut , face à cette “.démocratie formelle”, opposer une “démocratie réelle”. On est allé au fond. Le Collectif pour la sauvegarde du TESTET a fait un boulot extraordinaire. Quand on voit la réaction des socialistes, (cf le chantage de VALAX à la démission), il y a de quoi halluciner ! Il est vrai que ça remet en question toute la politique de l’eau Adour-Garonne. La série de barrages annoncés sont tous du même type. Cela remet en cause également toute la politique agricole. C’est pourquoi la FDSEA s’arc-boute à la défense de ce projet.
R&V : Nous verrons cela plus à fond une prochaine fois ! Si nous questionnions la violence d’Etat ? La violence policière, inouïe, que tu as quelque peu décrite tout à l’heure mais aussi la violence telle qu’elle s’exprime dans les propos de nos dirigeants locaux ou nationaux (VALLS qui dit “.SIVENS se fera ! “. par exemple) Comment l’expliquer par rapport à l’enjeu : une petite pataugeoire, en somme ?
JCE : D’accord avec la façon dont tu poses le problème : cette violence est construite.. Elle est mise en œuvre par les politiques et les forces de l’ordre armées. Une ZAD à NDDL, ce peut être tolérable. Deux ZAD . . . Bonjour les dégâts ! Il fallait mettre fin à cela. On a vu un déchainement policier inédit, surtout à partir de début octobre (grenade lancée dans une caravane, affaires personnelles brulées plusieurs fois par semaine. . .). Écœurer, humilier, décourager les personnes afin qu’elles partent.
Autre moyen mis en œuvre: criminaliser le mouvement. La justice entérine sans avoir entendu d’autres témoins que les policiers.
La violence est utilisée par le pouvoir pour diviser le mouvement.
Il existe chez nous plusieurs positions, cela va des pacifistes inconditionnels jusqu’à ceux qui pensent qu’il faut faire face et riposter par rapport aux gardes mobiles. Sujet de débats et de tensions. Le tout attisé par le rôle des médias, friands “d’images de guerre civile” et par la présence de provocateurs (policiers et/ou extrême-droite, nous avons des preuves). Il s’agit de créer un climat de peur vis à vis des opposants en premier lieu, mais aussi des populations locales . Cela fait penser à la 2ème guerre mondiale. . . Ainsi la semaine qui a suivi la mort de Rémi, il y avait des centaines de flics à Gaillac. Pourquoi ? Un des débats que nous allons avoir entre nous va être celui d’apparaitre « masqué-e-s ou non, pour couper court à un certain nombre de choses comme les provocations, les interrogations de la population, etc. . .

Ce premier entretien s’arrête là .Suite prochain n° de Rouge et Vert