Laïcité et Marseillaise ?

À mesdames et messieurs les professeurs des collèges et lycées de France.

Suite à ma présence au conseil d’administration du collège Val-Cérou, où j’ai pris connaissance du programme de la journée du 9 décembre, dite « journée de la laïcité », je tenais à vous faire part de mes réflexions et remarques sur le contenu de cette journée, pour les 6° en particulier. J’ai effectivement été très surpris du choix de l’Éducation Nationale, pour aborder ces notions de vivre ensemble, de tolérance, d’égalité et de liberté de penser qu’incarne la laïcité, de vouloir illustrer ou chanter la Marseillaise. La Marseillaise qui est un chant, par excellence, partisan, guerrier, nationaliste et haineux. Étonnant choix que de brandir ce symbole sanglant comme représentation de la laïcité et du vouloir vivre ensemble. Dois-je vous rappeler que le nom original de ce chant est « Chant de guerre pour l’armée du Rhin » et qu’il a été écrit (en 1792 par Rouget de Lisle, officier du Génie militaire) spécialement pour fortifier et glorifier dans les esprits l’idée de patriotisme et de sacrifice, dans la guerre pour la Nation ? C’est un chant d’identité nationale et de rejet haineux des autres nations, avec qui la France était en guerre à l’époque, notamment l’Autriche. Ce chant n’illustre en rien la laïcité et le vouloir vivre ensemble, en rien ! Relisez toute la Marseillaise en conscience avec son vocabulaire, ses images et ses métaphores, ses thématiques et vous comprendrez de quoi je parle. Ne vous cachez pas derrière l’argumentaire d’un sens autre et profond qu’il faudrait comprendre dans ce chant, où l’on parlerait de l’amour du prochain et de la Liberté mais d’une manière tellement obscure et subtile… comme le font les interprètes des textes religieux. À quoi servent les mots alors, si ils ne veulent pas dire ce qu’ils veulent dire ? La justification d’un pareil choix pour parler à nos enfants de la laïcité et de la tolérance, du vivre ensemble et de la liberté paraît être du catéchisme. Ceux-là même qui vous demandent de mettre en avant la Marseillaise ont récemment tué Rémi Fraisse, un jeune militant écologiste de 21 ans, et terrorisé toute la jeunesse qui refusait la loi El Khomri. « Tremblez, tyrans et vous perfides L’opprobre de tous les partis, Tremblez ! Vos projets parricides Vont enfin recevoir leurs prix ! Tout est soldat pour vous combattre, S’ils tombent, nos jeunes héros, La terre en produit de nouveaux, Contre vous tout prêts à se battre ! » Qu’est ce que cela veut dire alors, par exemple ? Ou cela au couplet 7 (dit « couplet des enfants ») « Nous entrerons dans la carrière Quand nos aînés n’y seront plus, Nous y trouverons leur poussière Et la trace de leurs vertus Bien moins jaloux de leur survivre Que de partager leur cercueil, Nous aurons le sublime orgueil De les venger ou de les suivre ». C’est exactement ce que font les enfants de Daech, venger leurs frères et leurs pères… Et ceux-là mêmes qui nous gouvernent et déclarent les guerres n’envoient jamais leur propres enfants la faire, la guerre ! Et ils font chanter aux nôtres leurs désirs pervers… Réveillez-vous professeurs, vous êtes les instruments d’une subtile et diabolique idéologie d’un État guerrier et colonialiste. Que notre pays, celui des Lumières, de Voltaire, de Rousseau, des droits de l’Homme et de la liberté puisse avoir pour hymne national un pareil chant, c’est une aberration historique. Ce chant déclare que les enfants (donc, nous tous, jeunes et vieux) appartiennent à la Nation et qu’ils ont devoir de mourir pour elle ! Rien de plus…ce n’est pas cela la laïcité. Un chant promut par des tyrans en guerre pour envoûter un pauvre peuple inculte et analphabète et lui dire, en fait : « tu n’es pas libre, tu appartiens à la Nation. Et tu dois faire la guerre pour elle ! » Mais depuis, nous avons appris à lire et à penser, je crois. Et le temps est venu de réfléchir ensemble aux vraies valeurs de la république et de la laïcité. Et d’arrêter de rabâcher les mêmes inepties conservatrices et abêtissantes, de l’État Nation et de l’hymne national. C’est justement ces notions là qui sont les ferments du racisme, de la haine et de la guerre. Cela ne vous étonne pas ? Ce retour de l’instruction civique et des grands symboles de la soit disant République des droits de l’Homme au moment même où nos présidents, qu’ils soient de droite ou de gauche, nous disent que nous sommes dans l’insécurité permanente, dans un état de guerre permanent, et qu’il va falloir s’y habituer. Sans parler des traitements réservés aux réfugiés ou à la jeunesse qui résiste. Rien n’est fait au hasard, comme vous le savez. Il y a bien d’autres chants adéquats à la laïcité, et plus contemporains, qui parleraient d’autant mieux aux enfants de ce sujet. Prenez le temps d’écouter « Copains du monde » de la chorale des Enfantastiques, ou « Qui ne se ressemble pas s’assemble », ou bien Tryo « Toi et moi », HK & les Saltimbanks « citoyen du monde » et pourquoi pas « Quand on a que l’amour » de Brel. Mais surtout pas l’appel à la guerre et au sang que symbolise la Marseillaise. Merci de m’entendre. Sincères salutations et bonne réflexion.

Le 29 novembre 2016.

David Lepoivre, parent d’élève dans le Tarn.

2 réflexions au sujet de “Laïcité et Marseillaise ?”

  1. Reçu de Jean-Pierre Shiep cet autre commentaire :
    MARSEILLAISE ET EDUCATION CIVIQUE…
    Lorsque ROUGET DE LISLE compose “le chant de guerre pour l’armée du Rhin” le pays se trouve dans une situation pour le moins difficile : la révolution a fait fuir pratiquement tous les nobles en Autriche, en Prusse et aussi en Angleterre ; ils forment dans ces pays l’armée des émigrés bien décidée à s’intégrer aux forces royales locales pour renverser la jeune république française. En juillet “le chant de guerre” devient “la marseillaise”: les fédérés venus de Marseille pour combattre en avaient fait leur hymne. Cette situation difficile explique son aspect volontaire et belliqueux d’autant qu’à l’intérieur du pays la guerre civile fait rage en Vendée et en Bretagne. Ces “soldats de l’an deux» chantés par V.HUGO dans les Châtiments font preuve d’un courage à toute épreuve, emmenés par HOCHE, KLEBER, MARCEAU … et volent de victoire en victoire aussi bien sur terre que sur mer. La “marseillaise» symbolise leur valeur. Pourtant dès 1804 on lui préfère le “chant du départ” comme si NAPOLEON était gêné par le vent de liberté de l’hymne national ; Bien entendu la “restauration” l’ignore superbement tout comme le “second empire”(à l’exception de BERLIOZ qui en compose la version actuelle). Et il faudra attendre 1879 pour que la “marseillaise” redevienne notre hymne national ; la III°république à ses débuts trouvait que cette “marseillaise” évoquait trop “la commune”! Pendant “l’occupation” l’hymne national est interdit en zone occupée et “charcuté» en zone libre ; et on lui préfère “maréchal nous voilà”. Jusqu’au milieu des années cinquante la “marseillaise” est plutôt cataloguée à gauche ; c’est sans doute les guerres coloniales et le retour du gaullisme qui lui donnent une autre signification ; et petit à petit elle devient l’emblème de l’extrême-droite (sauf pour les royalistes !) tout comme l’épopée de “Jeanne d’Arc”. Il arrive cependant que la gauche l’entonne assez spontanément : en juin 1968 lors de la campagne pour les législatives, W.ROCHET (PCF) débuta ainsi l’un de ses meetings en disant que l’hymne national n’appartenait pas à la “majorité” gaulliste. Très tôt certains écrivains en ont combattu la violence : en 1841 Lamartine publie une «marseillaise» de la paix destinée au poète allemand BECKER. Et beaucoup plus près de nous un certain S. GAINSBOURG en interprète une version personnelle assez ironique ce qui faillit lui attirer quelques ennuis… Pourtant cette violence n’a rien d’étonnant dans un hymne “guerrier”: “le chant des partisans” n’inspire pas la tendresse tout comme certains textes de HUGO consacrés à la révolution («les soldats de l’an II », “hymne”… que nous avons appris dans notre jeunesse). Et il serait déplacé d’affirmer que les soldats de l’an II ou les maquisards furent des fanatiques : leur action violente visait à contrecarrer les méfaits d’une minorité dangereuse, cette minorité désignée par “…ces féroces soldats / qui viennent jusque dans vos bras / égorger vos fils vos compagnes/», dont “le sang impur abreuve nos sillons” !
    Peut-on pour autant utiliser ce chant guerrier pour l’éducation civique et la laïcité ? Tout d’abord les jeunes (les enfants) qui vivent dans un milieu où la pauvreté et la révolte côtoient le radicalisme ne peuvent en aucune façon comprendre et accepter ce concept de laïcité : ils sont dans un autre monde et on ne les ramènera dans le nôtre que progressivement. Et pour eux la «marseillaise» dans le meilleur des cas c’est un “inconnu” teinté d’impiété et de “colonialisme”! Mais on ne tirera pas plus de bénéfice des “copains du monde” ou de “toi et moi” dont le texte semble excuser par avance tous les comportements «incivils». Et même le beau texte de BREL “quand on a que l’amour” leur paraîtra étranger : ils ne ressentent pas spontanément un tel sentiment.
    Donner un semblant de civisme à une telle population est une rude entreprise comme le souligne “Charlie-Hebdo” du 11/01/2017 ! Et pourtant ce serait indispensable. Mais ce n’est pas la “marseillaise ” qui pourra apporter ce civisme nécessaire à la vie en société : le travail sur le terrain des éducateurs est beaucoup plus efficace pour contrecarrer le “radicalisme”!

  2. Reçu d’Aline Raby ce commentaire :
    1- je ne vois pas très bien le rapport entre la laïcité et la Marseillaise.
    2- la guerre, c’est la guerre: c’est la violence permise et même obligatoire (cf. les fusillés pour l’exemple durant la guerre de 14-18). Le Chant des Partisans
    durant la 2nde guerre mondiale est encore plus violent que la Marseillaise.
    3- il semble que le rôle de l’école, c’est une éducation à la paix, au vivre ensemble.
    4- une laïcité bien comprise doit justement être un moyen de ce vivre ensemble pacifique dans tout ce qui touche le domaine religieux.
    5-Nombreux sont les chants de paix; il y a même des versions “pacifiées” de la Marseillaise. Et n’oublions pas Le déserteur
    de Boris Vian (qui a d’ailleurs “pacifié les dernier vers sous la pression de Mouloudji… et de la menace judiciaire).
    6- autre remarque : de quel sang est-il question dans la Marseillaise ? Il s’agit du sang des nobles. La révolution française de 1789 a été d’abord une lutte contre la noblesse et ses privilèges, la noblesse de sang, le sang bleu, le sang qui rend la noblesse héréditaire et donc “éternelle”.
    7- dernière remarque : La Marseillaise n’a pas été composée pour être le chant national, mais pour un régiment qui allait combattre l’armée autrichienne où se trouvaient de nombreux nobles exilés (d’où le sang impur).

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