Le 10 mai 1988 M. ROCARD est nommé premier ministre par F. MITTERRAND qui vient d’être réélu président de la république. C’est un cadeau empoisonné car les deux hommes se détestent depuis plus de trente ans : en 1956 ROCARD en compagnie, entre autres, de SAVARY et de BEREGOVOY était entré en dissidence avec la SFIO à laquelle il appartenait depuis 1949. Il ne pouvait cautionner la politique algérienne de G. MOLLET et de son ministre de la justice un certain F. MITTERRAND !
- ROCARD accepte ce poste dans l’espoir d’accéder un jour à la présidence de la république ; en 1969 il avait porté les couleurs du PSU à la présidentielle ; il avait obtenu 3,5% des voix ce qui ne l’avait pas empêché peu de temps après d’être élu député grâce à “l’union de la gauche” face à l’ancien premier ministre COUVE de MURVILLE. Au lendemain de la présidentielle de 1974 il essaie en vain de faire entrer le PSU dans l’union de la gauche. Il quitte donc ce parti pour entrer au PS où il incarne la deuxième gauche plutôt anti-étatique – il était contre les nationalisations à cent pour cent – et d’inspiration autogestionnaire. En 1980 il avait annoncé sa candidature avant de s’effacer devant MITTERRAND. Le même scénario s’étant produit en 1987 il semble qu’un “deal” ait été conclu entre les deux hommes. De toute façon le président de la république était persuadé que le gouvernement ne tiendrait pas plus de 18 mois, d’autant qu’aux élections de juin, ROCARD n’obtient pas la majorité absolue … En fait malgré de graves problèmes, le gouvernement se maintient brillamment et le premier ministre véritable “fusible” dans la V° république reste plus populaire que son président. Jusqu’en mai 1991 date de sa démission son action est remarquable : accords de Matignon sur l’autodétermination de la Nouvelle Calédonie, loi sur la bioéthique, création du RMI, de la CSG, livre blanc sur les retraites… Mais ce ne dut pas être aisé : ROCARD, homme très travailleur, parlait sans cesse des “travaux d’Hercule” et il avala de nombreuses “couleuvres”. Les accords de Matignon entre LAFLEUR (loyaliste) et TJIBAOU (indépendantiste) sous “la présidence” du premier ministre marquent le terme d’un conflit sanglant que le gouvernement précédent emmené par J. CHIRAC en période de cohabitation n’avait pas su résoudre. Il semble que le nouveau premier ministre qui était à la tête du PSU (parti socialiste unifié) à la fin des années 60 et au début des années 70 ait apporté un souffle nouveau influencé par la compréhension des désirs d’émancipation des peuples, héritage de ses prises de position lors de la guerre d’Algérie. ROCARD qui était très exigeant pour lui-même estimera que ces accords étaient sa plus grande réussite. Quelques mois après (1/12/88) est instauré le RMI (revenu minimum d’insertion) voté à l’unanimité par l’assemblée nationale : là encore c’est la “fibre sociale” héritée de la période PSU, de son militantisme à l’UNEF et de ses liens avec la CFDT qui anime le premier ministre ; et comme ROCARD est un excellent économiste – il était par formation inspecteur des finances – le RMI fut adopté sans aucune protestation de la droite ; enfin durant le dernier trimestre 90 la CSG (contribution sociale généralisée) pour financer la sécurité sociale est mise en chantier. La loi sera promulguée dès le début de 91 avec le recours au 49.3 ; la mesure avait tout pour être impopulaire mais au palais Bourbon les centristes ont “remplacé” les défections communistes. Quant au livre blanc sur les retraites il est resté à l’état d’ébauche : le président de la république a-t-il freiné des “quatre fers” ? Le premier ministre s’est-il fait peur, lui qui assurait qu’il y avait dans cette “loi” de quoi faire “tomber” deux gouvernements ou plus. Le problème en tout cas devait hanter ROCARD : il affirmait récemment que le problème des retraites n’était réglé que pour une dizaine d’années… Pendant cette période “heureuse” il y a tout de même des épisodes plus contestables : “la France ne peut accueillir toute la misère du monde” déclare le premier ministre pour justifier une politique de plus en plus anti-immigrationniste. Même si par la suite l’intéressé a essayé de se justifier on lui a beaucoup reproché cette formule. Est-elle pire que celle de FABIUS affirmant en substance que le FN apportait de mauvaises réponses à de bonnes questions ? “Démissionné” de son poste en mai 91, ROCARD est battu aux législatives de 93 ce qui ne l’empêche pas de prendre la tête du PS et d’en conduire la liste aux européennes (juin 94). Elle n’obtient que 14% des voix, MITTERRAND ayant sans-doute favorisé une liste “radicale” emmenée par B.TAPIE (10% des voix). Il est obligé de quitter la présidence du parti ; c’est la fin des espoirs “présidentiels” mais le début d’une brillante carrière européenne qui se poursuivra jusqu’en 2009 ; ROCARD prend la tête de plusieurs commissions : coopération et développement (1997-1999) ; emploi et affaires sociales (1999-2002) ; culture (2002-2004) et se montre un ardent défenseur de l’entrée de la Turquie dans l’UE ; et comme il avait raison ! (note de l’auteur). Il démissionne en janvier 2009 du parlement européen tout en restant actif jusqu’à la fin notamment en écrivant de nombreux articles sur tous les sujets possibles et imaginables !
On s’est souvent demandé pourquoi ROCARD n’avait pas réussi à devenir président de la république ; était-il à proprement parler un homme politique ? Malgré un contact assez aisé avec le peuple “au meilleur sens du mot, “l’homme était avant tout un “intellectuel” d’une honnêteté à toute épreuve ; il n’avait pas comme son grand rival cette petite dose de rouerie qui fait dire de vous “chapeau l’artiste”!
Jean-Pierre SHIEP