Dialogue n°5 de Jacques et son Maître

DES_MA1-300x300DIALOGUE 5 : une expérience communale du futur

Nous avons laissé nos deux héros en novembre dernier à l’entrée de la commune libre de Saint-Martin[1]. Depuis, Jacques et son Maître se sont installés dans une auberge autogérée où, à la surprise de ce dernier, l’ensemble du personnel jusqu’à la dernière soubrette est propriétaire de son outil de travail. Au fil des jours – et des mois ! – ils ont visité la ville, regardé les gens vivre, écouté leurs abondantes discussions, participé à leurs assemblées populaires, essayé de saisir en quoi l’autogestion communale pouvait modifier les comportements et tout simplement la vie des Saint-Martinois. Tout ayant une fin, nous retrouvons Jacques et son Maître, chevaux sellés, en chemin vers d’autres cieux. Naturellement, le dialogue se renoue.

Le Maître : Jacques, pourquoi ne pas m’avoir dit qu’un autre monde existait ailleurs que dans ta tête ?

Jacques : Parce que, mon bon Maître, vous ne m’auriez pas cru et que rien ne vaut de voir et de toucher l’expérience.

Le Maître : Je dois te dire que les mois passés à Saint-Martin ont ébranlé mes convictions… enfin quelque peu ! Comment imaginer comme réelle une société où le don remplacerait la marchandise, où le service gratuit prendrait le pas sur l’exploitation des hommes, la liberté sur la soumission, la solidarité sur la recherche du profit, la responsabilité des citoyens sur la délégation des pouvoirs ? Où l’imagination se substituerait à la résignation et à la passivité ?

Jacques : Et pourtant, n’est-ce pas ce que nous venons de vivre ? Il suffit de faire confiance aux habitants, et les voilà qui repensent la justice, la police, les écoles, les commerces et même les cimetières et la mort ! Les voilà qui établissent eux-mêmes leur budget communal, qui gèrent au mieux leur santé, leurs déplacements en transports collectifs, leurs déchets, leur développement urbain et jusqu’à leurs fêtes de quartier !

Le Maître (hésitant) : N’empêche, leur soif de se mêler de tout les mène trop loin ! Cela ne saurait fonctionner à grande échelle, trop de gens ne sont pas prêts à se lancer dans cette aventure ! Impossible de s’occuper de l’approvisionnement énergétique, du salariat, des banques, du développement économique ! Et puis, il faut un individu qui lance le processus comme Laurent à Saint-Martin…

Jacques : Mon bon Maître, est-ce cela qui vous trouble ? Plus de maîtres, plus de valets, est-ce trop difficile à accepter ? Est-ce la perspective politique de la fin de l’Ancien Régime qui vous chagrine ? Est-ce votre affection pour notre roi qui vous retient d’adhérer à ce que nous venons de vivre ?

Le Maître : Non, non ! Je me demande si nous ne devrions pas écrire un livre sur ces choses merveilleuses.

Jacques : Mon bon Maître, c’est déjà fait ! Jean-François Aupetitgendre s’en est chargé[2].

Pour le coup le Maître se renfrogna et s’enfonça dans le mutisme. Le pas cadencé de leurs montures finit par les bercer vers une destination encore inconnue.

Candida Rouet (janvier 2014)

[1] Commune imaginaire de 5000 habitants

[2] J-F Aupetitgendre La commune libre de Saint-Martin – 272 pages. En vente à la librairie du Monde Libertaire, 145 Rue Amelot 75011 Paris. Ou : 13€ + 10% de frais de port. Chèque à l’ordre de « Publico »