Analyse radicale de l’imposture politique

Dessin d’Alain Guillemot

Abstentionnisme record

Le dégoût et l’abstentionnisme record des dernières élections départementales et régionales, et le constat désabusé fait par beaucoup qu’ « il n’y a plus ni gauche ni droite », sont signifiants en ce qu’ils viennent dévoiler un grand mensonge civilisationnel : oui, en effet, le vote ne fait pas ce qu’il dit et ne sert pas à ce qu’il dit servir, et oui, « il n’y a plus ni gauche ni droite » pouvant aujourd’hui ne serait-ce qu’infléchir la course d’un monde intégralement indexé sur la valeur d’échange, totalement phagocyté par la loi de la marchandise.

« Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes » disaient Marx et Engels. Parce que la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituellement, deviennent toujours dominants, évidents et presque « naturels », les concepts qui permettent d’asseoir la domination. Que penser alors de l’idée si populaire, quasi-naturelle et jamais questionnée, selon laquelle la politique et l’état démocratique pourront créer un monde humain ?

L’État, la politique, la décomposition de la communauté humaine et la domestication

Aujourd’hui, et comme pendant de nombreux siècles, pour beaucoup de gens il y a toujours eu l’état, et il y en aura toujours. Mais sur toute la temporalité où il y a eu des Hommes, il n’y a pas eu des Etats, ou il n’y a pas toujours eu “l’Etat”. Il n’y a pas d’état au paléolithique ; son principe apparaît avec le néolithique.

A partir de la révolution néolithique, progressivement, avec l’installation de l’argent et la logique de la valeur d’échange, la communauté humaine se scinde, se divise, éclate. L’unité naturelle des Hommes pour reproduire la vie disparaît. Mais l’éclaté ne peut pas fonctionner s’il demeure éclaté. Le divisé ne peut pas rester du divisé. Il se produit alors une synthèse supérieure qui va réorganiser le scindé et le divisé, et l’état, ce « status » qui fait que la société tient debout bien que divisée, est la forme structurante supérieure qui vient agencer le fait que l’Homme a perdu la communauté et le « tenir » naturel, et qu’il est rentré dans le champ aliénatoire de la civilisation, de la société, de l’argent, du pouvoir, de la concurrence, tous facteurs de séparation.

L’état est ainsi le gendarme d’une articulation sociale qui n’est plus communautaire ; il est un pouvoir extérieur de synthèse qui organise un « tenir ensemble » arbitraire, codifié, et passant par la domestication générale pour tout à la fois administrer les richesses, et encadrer le rapport social.

L’état est donc le « status », le « tenir », mais un tenir spécifique qui n’est pas neutre. Fruit du développement de la valeur d’échange, il parle le langage du dressage civilisationnel et de la coercition au service de la marchandise aliénatoire.

Aussi, et par suite, la politique est la production étatique de l’homme aliéné permettant la poursuite du capital. A la suite de l’état, la politique découle du capital et de la logique de la valeur d’échange, est sa production directe et non le précède, est l’outil de sa reconduction permanente. Elle est l’art aliénatoire d’établir et conserver, entre les hommes domestiqués, les conditions les plus optimisées de la vie sociale de la domestication permettant de répondre aux impératifs des nécessités de la marchandise. La politique est nécessairement au service du capital, et n’existera que tant qu’elle sera utile à sa poursuite.

Toutes les formes d’état ont la même essence,

et la gauche et la droite sont les deux mains de la même oppression d’état qui s’adapte.

Quelles que soient les formes prises à un moment donné, il ne s’agit toujours pour l’état que de gérer la marchandise humaine et la faire correspondre aux nécessités de l’économie, et casser l’éventuelle lutte de classe qui pourrait surgir, par la violence (états « durs ») ou les restructurations réformistes (états « sociaux doux »). L’état d’un instant T est la codification de l’oppression de cet instant T. L’état bouge dans sa forme, pour rester toujours l’état. C’est son mouvement adaptatif qui lui permet de rester lui-même, au dessus de la société, dominant le rapport social et conservant sa fonction.

L’état a des structurations, des discours, des écuries, des chapelles, des gangs, mais, de l’ultra-gauche du capital à l’ultra-droite du capital, tous ces gangs, même s’ils s’opposent à un moment donné, sont complémentaires et indissociables et viennent toujours justifier l’ordre aliénatoire qui emprisonne les Hommes dans la cité du travail, de l’argent et de l’état. En fonction des temporalités, des crises, des nécessités de la dialectique des forces productives, le cheminement historique pioche, dans sa spontanéité et son immanence, dans les écuries politiques pour avoir effectivement les équipes politiciennes à chaque nécessité du temps en mouvement. Toutes les politiques, tous les partis, sont les portes valises des nécessités impérieuses du capital.

Le pire état est l’état démocratique

En Europe, la décomposition du temps féodal fait surgir le capitalisme et donc l’état moderne, et un peu plus tard, l’idée de la démocratie émerge comme structuration étatique la plus adaptée à la nouvelle temporalité. Le mensonge démocratique naît, nouveau concept positif au service du capital moderne.

La démocratie est la forme la plus aboutie de la dictature du profit car elle est celle où les Hommes croient contribuer à la vie quand ils consentent toujours plus à la poursuite de l’anti-vie.

C’est la prison la plus terrible, la plus puissante car la plus subtilement mensongère, celle dont on ne perçoit plus les murs, celle des Hommes totalement emmurés dans la logique obligatoire de l’accumulation des marchandises matérielles et immatérielles sans fin, celle des Hommes librement aliénés, librement divisés et en concurrence, librement égaux dans l’adoration du marché sans fin, et à son service.

L’Homme a participé à choisir sa prison – tout du moins le lui fait-on croire – et ne peut plus que s’auto-convaincre de sa « chance » de vivre en démocratie et du « bien-être » qui en découle, tandis que sa réalité indique partout l’opposé de l’idéologie dans laquelle il est pris : sa vie est obéissance et domestication sans fin, jeu obligatoire des règles de l’avoir dissociant et séparant, toujours premières par rapport à l’être ensemble qui est véritablement la vie, pendant qu’il constate que partout l’exploitation et l’asservissement (démocratiques…) vont croissant.

La démocratie pure est la forme d’état qui a le plus de potentiel de dévastation. Elle est le motif-imposture inique mais « valable » venant justifier toutes les guerres et tous les écrasements. Et la démocratie totalitaire intégrative, qu’elle soit féroce dans sa violence, ou brutalement « civilisée », est l’aboutissement final de la logique économique mortifère arrivée à son point d’impossibilité et de décomposition, nouvelle phase d’histoire dont la mystification coronavirale mondiale indique que nous venons de franchir la porte.

La fin de l’imposture politique sera une communauté universelle émancipée

 radicalement anti-politique, anti-état, et anti-argent

Même si nous sommes encore dans le temps où est massivement gobée toute la production fallacieuse et mensongère du capital en crise, le désenchantement politique et l’abstentionnisme des temps présents indiquent le début du renversement de la conscience fausse qui croyait jusque-là au récit officiel de la fonction de la politique.

L’état ne pourra être détruit autrement que par la communisation. On ne détruira pas la force domesticatoire et coercitive de l’état en le décrétant ; l’état se trouvera détruit par la destruction des structures sociales de sa production.

L’état est le produit de la capitalisation. Donc si je veux voir disparaître l’imposture étatique et politique, je dois détruire la capitalisation, ou plutôt je dois comprendre que la fin de l’imposture politique sera aussi la fin de l’état, qui sera corollairement la fin du Capital mondial (échange marchand, argent) une fois entré dans sa phase crisique terminale du fait de son impossibilité à se reproduire.

Dans la communauté émancipée, celle de la vraie vie, point de nécessité ni d’émergence possible de la force faussement « réunificatrice » de l’état, en réalité force de domestication et d’asservissement « pour notre bien ».

A.