Du Squat et du CAAT (Collectif Accueil Avec Toit à Albi)
« Le 115, plus qu’une bouée, un cocon », c’est ainsi que La Dépêche du Midi (Tarn) intitulait l’article qu’elle consacrait à l’hébergement d’urgence dans le Tarn dans le journal du lundi 16/01[1]. « Le 115, un cocon », soit, mais un cocon qui prend l’eau… L’article reconnaît, en effet, que le 115 ne suffit pas aux besoins en hébergement d’urgence dans le département : « 20 % [des personnes en situation difficile] ont pu bénéficier d’un hébergement d’urgence ». 20 % seulement, pourrait-on ajouter. Mais l’article, confiant dans les structures et les moyens mis en place par les pouvoirs publics, ajoute : « les autres n’ont pas pour autant terminé à la rue ». Quelles « solutions » sont donc trouvées ? On apprendra dans l’article qu’elles ne viennent pas des pouvoirs publics…
Pour détailler les dispositifs d’aide, parole est donnée, entre autres, à Bernard Crémon, chef du service inclusion sociale de la DDCSPP (Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations, un service de la préfecture), lequel reconnaît que si « les personnes à la rue sont très rares », c’est « grâce à des phénomènes de solidarité, soit dans des logements indignes soit dans des squats ». Le lecteur apprend au passage que la solidarité n’est traitée comme un délit que quand cela arrange les pouvoirs publics, mais qu’elle peut par ailleurs leur être une aide essentielle face à l’insuffisance des moyens qu’ils mettent en œuvre. Dans ces quelques lignes, le lecteur entend encore M. Crémon accréditer le rôle indispensable joué par les squats ; et à Albi, et plus largement dans le Tarn, ce rôle est rempli par le CAAT, un collectif qui, depuis le 20 septembre, occupe des bâtiments au 18 rue Lavazière, des bâtiments qui étaient vacants depuis plus de quatre ans et qui ont été ouverts pour mettre à l’abri des personnes sans logement délaissées par les pouvoirs publics, malgré les appels au 115 et les sollicitations faites auprès de la préfecture.
Le CAAT trouve légitime cette reconnaissance du rôle qu’il joue mais regrette que M. Crémon, en associant « squats » et « logements indignes », omette tout le travail et le déploiement d’énergie fournis bénévolement par celles et ceux qui s’investissent au CAAT. Si l’hébergement que propose le CAAT devient indigne, ce sera parce qu’on l’aura privé des moyens dont il a besoin pour offrir à celles et ceux qu’il héberge des conditions de vie décente. Puisque les services de la préfecture reconnaissent l’existence de CAAT et la fonction qu’il assure pour l’hébergement d’urgence sur Albi et plus largement dans le Tarn, le CAAT demande à la préfecture de se montrer conséquente et de l’appuyer face aux démarches intentées en justice par les sociétés propriétaires[2] en vue d’une expulsion des bâtiments occupés[3].
Si « L’État, comme on peut le lire dans La Dépêche, met des millions d’euros sur la table, dans le Tarn, pour que ses partenaires fassent appliquer ‘le droit constitutionnel d’avoir un toit’ », il faut gager que ces millions sont, soit insuffisants, soit mal utilisés. Les priorités budgétaires de l’État sont orientées vers la relance du logement locatif privé et l’accession à la propriété, l’une et l’autre soumises aux seules lois du marché, loin des nécessités premières des personnes en difficulté. Face à cela, les solutions qui devraient s’imposer et que la loi prévoit restent inappliquées : la préfecture du Tarn refuse d’appliquer la loi de réquisition des bâtiments vacants, sinon pour créer des C.A.O[4] qui ne sont que des « centres de tri » ouverts de manière temporaire, le temps de procéder à quelques expulsions. Pour le reste, la préfecture préfère laisser les bâtiments vides inoccupés et les personnes sans logement à la rue. Le squat est la solution que les pouvoirs publics refusent de trouver. Dans l’article de La Dépêche sus-cité, Jean-Michel Fedon, à la tête de la DDCSPP, reconnaît qu’ « il y a plusieurs centaines de logements sociaux vacants sur le Tarn » parce que le problème reste le loyer à payer (« Mais il faut payer le loyer »). Le squat dispense de loyer ceux et celles qui ne peuvent s’en acquitter. Il établit une jouissance de nos droits fondamentaux non soumise à des impératifs et à des logiques marchands.
Le CAAT demande à la préfecture, et plus largement à l’État dont elle est la représentante dans le Tarn, de cesser leur double jeu : on ne peut d’une main condamner les squats et de l’autre reconnaître le rôle essentiel qu’ils jouent. Si ce qui est indispensable à la société et à l’exercice de droits fondamentaux est condamné par la loi, il faut en conclure que la loi est mal faite, et plus profondément que le système dans lequel nous évoluons repose sur de mauvaises bases… qu’il faut donc les renverser pour en construire de nouvelles, plus justes, plus solidaires, plus humaines.
Bérengère
[1]http://www.ladepeche.fr/article/2017/01/16/2497442-le-115-plus-qu-une-bouee-un-cocon.html
[2]Les sociétés Sofilo et Enedis.
[3]Le 24 octobre dernier, le CAAT obtenait la trêve hivernale, mais est aujourd’hui (le 20/01) assigné au tribunal par les sociétés propriétaires et menacé de se voir couper l’électricité, ce qui équivaudrait à une expulsion.
[4]Centre d’Accueil et d’Orientation, créés au moment du démantèlement de Calais.