La SCIC contre l’impéritie

Le jour d’après ?

Jean-Jacques (68) écrit, faisant référence à un article publié dans Politis :

Le travail n’est plus organisé en fonction du profit pour les actionnaires mais de l’utilité sociale.

L’impéritie. Ce terme peu usité désigne fort bien l’incompétence et l’irresponsabilité des arrogants personnages qui nous gouvernent, dévots aveugles des lois du marché mondial. Cela commence à se savoir : l’ahurissante pénurie de masques et de tests n’est pas le fait de la malchance mais de décisions conscientes. Ainsi, malgré les alertes lancées par les syndicats, Bercy et l’Élysée ont laissé la multinationale américaine Honeywell fermer, il y a dix-huit mois, l’usine de Plaintel, dans les Côtes-d’Armor, qui pouvait produire 20 millions de masques par mois. Au nom de la liberté d’entreprendre, Honeywell a pu détruire ses machines – dont certaines étaient quasiment neuves – et délocaliser sa production de masques en Tunisie et en Chine (1).

Le 26 mars, l’Union syndicale Solidaires des Côtes-d’Armor proposait de relancer la production de masques et de vêtements de protection sanitaire en créant une coopérative. Comme l’explique Serge Le Quéau (2), responsable de Solidaires, face à la faillite de la gouvernance des actionnaires, le modèle de la société coopérative d’intérêt collectif (Scic) est une alternative enthousiasmante. La Scic permet d’associer tous les acteurs du territoire régional et de la filière, et de les impliquer dans un projet de relocalisation de production industrielle. Le conseil d’administration peut comporter plusieurs collèges – salariés, bien sûr, mais aussi acteurs sanitaires et médico-sociaux et autres clients (notamment industriels), collectivités locales, associations de patients, etc.

Comme les coopératives classiques, la Scic combine élection des dirigeants et absence d’enrichissement privé. De nombreuses études montrent que les coopératives sont au moins aussi productives que les entreprises classiques, avec de meilleures conditions de travail et un emploi plus stable. Ces avantages sont renforcés dans le cas des Scic : en effet, leurs choix stratégiques résultent d’une délibération approfondie entre les diverses parties intéressées à la bonne marche de l’entreprise, à la qualité de sa production et à son impact environnemental. Le travail des sociétaires n’est plus organisé en fonction du profit pour les actionnaires mais de l’utilité sociale, sanitaire et environnementale. Les travailleurs ne sont plus assujettis à un management financier, mais codécident des conditions et des finalités de leur travail.

La crise actuelle va certainement voir des centaines, voire des milliers, de faillites d’entreprises parfaitement viables, étranglées par la chute de la demande. Plutôt que de les voir fermer, ou bien de laisser l’État les sauver pour les restituer ensuite à leurs actionnaires, les acteurs locaux pourraient se mobiliser pour sauver les emplois et réorienter les productions. La Scic est l’une des réponses majeures à la question que nous pose l’épidémie : relancer la machine infernale ou enclencher la grande bifurcation ?

(1) Lire Politis n° 1598, 9 avril.

(2) Lire « Face à la pénurie de masques, un projet de coopérative de production », 16 avril, sur https://france.attac.org

Thomas Coutrot Économiste, membre d’Attac

22.04.2020

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