Témoignage : la vie d’un prof de français en Chine

image (officielle ? ) de prévention de l’épidémie

Imaginez, ou tentez d’imaginer, la vie d’un prof de français en Chine. Tous les quatre jours ou presque, il se rend dans un bar militant orienté vers la scène musicale et hip hop, reggae et musiques actuelles. Ce bar a récemment fêté ses 10 ans. Il se trouve rue luomo lu à Wuhan, la ville dont vous avez récemment entendu parler, car ayant été frappée par l’épidémie de Corona virus cov-2029 ; on peut comprendre dans une certaine mesure la décision du gouvernement chinois d’installer une quarantaine, ce qui a été fait le 23 janvier 2020, pour des raisons sanitaires, afin de contenir l’expansion du virus.

Mais d’un autre côté on peut aussi s’interroger : d’abord sur les conditions de propagation de ce virus. Wuhan est une très grande ville du centre de la Chine, ce qui explique qu’elle serve de ‘hub’, c’est-à-dire que sa position géographique l’amène à jouer le rôle de nœud ferroviaire entre l’est et l’ouest de la Chine. Elle est aussi dotée d’un aéroport et de lignes de métro qui ne cessent de s’étendre au fil des années. D’ailleurs, il existe un proverbe : « Wuhan est différente tous les jours » tant est grande la frénésie constructive, et des banlieues ternes s’étendent à perte de vue en terrain plat, de très hautes tours, toutes semblables, dont les habitants doivent aujourd’hui malheureusement rester confinés, sous la surveillance de comités de quartier qui bloquent l’accès des résidences, mais qui font aussi en sorte d’apporter aux habitants des vivres afin de passer cette quarantaine dans les meilleures conditions.

Ce caractère particulier de la ville, ouverte sur l’extérieur, aurait favorisé la propagation du virus. En effet, peu de temps avant l’annonce de sa diffusion, la plupart des Chinois partaient comme chaque année vers le 23 janvier pour rejoindre leur famille en province. Ils auraient ainsi involontairement propagé le virus dans les quatre directions, et peu de temps après, le gouvernement décidait de fermer manu militari les gares, l’aéroport, et même les lignes de métro et de bus, pourtant si vitales pour se déplacer dans la ville de Wuhan.

Imaginez donc la vie de ce prof, il se rend toutes les semaines dans ce bar pour y croiser les ses amis, certains Chinois, les autres Français ; un certain nombre de Français en effet y organisaient de temps à autre des concerts en tant que DJ ou musiciens.

Il y va pour décompresser, car ses cours l’épuisent. On lui en demande trop. Le département de langue demande un cours, et c’est aux professeurs de s’y adapter sans qu’ils aient toujours les ressources pour le faire. Et pour quelle raison ceci ? Parce qu’il y a relativement peu de profs étrangers dans la ville, que les cohortes d’étudiants sont impressionnantes.- Donc, en l’absence de syndicats, on accepte bon gré mal gré les horaires de cours imposées par la hiérarchie, l’administration de l’université.

Ses amis du bar engagé compatissent : heureux de savoir qu’il trouve chez eux un havre de paix où décompresser, où écouter de bons concerts, où boire une bière, mais un peu désolés en même temps pour lui, car il ne s’agit pas de trouver sa place dans le collectif mais de se limiter à un statut d’expatrié, lecteur d’université, le plus souvent reclus dans sa résidence, dans un pays dont il ne parle presque pas la langue.

Et ceci pour combien de temps ?

Voilà, telle était la routine, année après année, jusqu’à ce que survienne l’épidémie du cov-19 à Wuhan. Certains seraient probablement étonnés de la présence de ce type de bar et de celle d’une scène musicale capable de faire venir des groupes étrangers en Chine. Il faut expliquer que ces dernières années, sans doute avec l’enrichissement récent de la classe moyenne, et dans la foulée de l’ouverture économique de la Chine dans les années 1970 sous la houlette de Deng Xiaoping, le régime a octroyé certains espaces de liberté ? Ou bien il faut dire que les citoyens se sont donnés à eux-mêmes ces espaces de liberté.

Ce troquet fut fondé à l’initiative de Wu Wei, alors jeune musicien autodidacte qui surfait sur la vague punk dans les années 1980 et 1990 et créa un groupe de musique dans le même style : SMZB. Les initiateurs du bar durent être bien surpris de cette épidémie- ce retournement de situation- qui fait de leur ville entière, et plus largement de la province du Hubei – comme une prison : chaque habitant étant assigné à résidence par la volonté de limiter la propagation de l’épidémie. En effet, le nom qui avait été choisi pour ce bar était ‘le prison bar’- un jeu de mot en anglais car dans cette langue ‘prison bar’ signifie ‘barreau de porte ou de fenêtre de prison’. Or- ironie suprême- il me fallait au retour, passer au travers d’une grille- la grille de l’enceinte extérieure de l’université- après 10 heures du soir- un étudiant astucieux ayant ménagé un espace entre deux barreaux pour s’y faufiler, en sectionnant l’un des barreaux au moyen de l’art de la soudure. Assez du moins pour offrir le passage de profil à une seule personne. Voici le sens de cette mise en abyme : le prof seul, sortant de l’université où on l’avait enfermé pour aller respirer au-dehors, et au-dehors la cage plus large de la ville, de la province et du parti englobant le tout.

Vers le 23 janvier 2020 les trains les avions, le métro ne circulaient plus, certains voyageurs frustrés revenant qui de la gare qui de l’aéroport sans avoir pu faire leur voyage prévu.

Il était de bon ton dans ces conditions, de remplacer l’appellation ‘prison bar’ par Wuhan bar, comme le fit Dong Dong, la propriétaire du bar, ou par ‘pandémie Tokyo prison’ en référence par exemple au bateau de croisière bloqué en mer entre la Chine et le Japon.

Puis les autorités prirent le parti de couper la ville en trois : le long du fleuve Yangtse, diviser les quartiers en bloquant les ponts qui les séparent. Ces quartiers sont au nombre de trois : Hankou, l’ancienne concession coloniale européenne, récemment rénovée, Hanyang, le nouveau quartier consacré aux entreprises, notamment aux entreprises européennes automobiles comme PSA. Et Wuchang, quartiers plus populaire mais en voie de réaménagement par le pouvoir, notamment par la construction d’un grand rond-point multimodal permettant l’accès à un grand supermarché et de désengorger le trafic.

Ce quartier devient une sorte de métaphore de la situation actuelle en Chine. Des comités de quartier surveillent les rues, les résidences, bloquent les accès décident qui a le droit de sortir ou pas. Et ceci pour une durée indéterminée. À plus long terme, il me semble que la privation de liberté des habitants devrait nous interpeller. Ici, les méthodes de contrôle de la population du gouvernement chinois sont utilisées pour juguler une épidémie. La méthode technologique- Internet, intelligence artificielle contribuent à approfondir ce contrôle tout en occupant les gens chez eux. L’économie est en léthargie, l’atelier du monde est à l’arrêt, le capitalisme mondial commence à s’inquiéter. Combien de temps cette quarantaine sera-t-elle acceptée par la population ? Sans compter tous ceux qui se sont déplacés dans d’autres provinces, par exemple pour y rencontrer leur famille et se trouve bloqués loin de leur foyer. Quelle va être l’effet de cette quarantaine sur le lien social en Chine ? La philosophie intrinsèque du gouvernement chinois semble être de voir dans toute catastrophe une possible remise en cause de sa propre légitimité en prêtant davantage d’importance à cet aspect de la menace plutôt qu’à la nature même de la menace (révolte, épidémie, que sais-je ?). La logique habituelle veut qu’on sanctionne les échelons inférieurs de l’administration, comme s’ils étaient responsables de la catastrophe. Mais plutôt que de faire sauter un fusible, que conviendrait-il de faire ?

En ce qui concerne l’épidémie récente, les échelons inférieurs ne sont pas vraiment coupables me semble –il, sinon d’avoir un peu trop attendu avant de tirer la sonnette d’alarme, il est de toute façon prévu, chaque année à la fin du mois de janvier que la plupart des Chinois cherchent à rejoindre leur famille car c’est l’occasion pour eux de passer quelques semaines en famille à l’occasion du nouvel an et des vacances d’hiver. Cette tradition est si bien installée que le gouvernement n’y pouvait rien changer. Et puis quand certains lanceurs d’alerte, comme le Docteur Li se sont manifestés, ils ont été réprimandés et sommés de se taire. On apprend aussi que les villages chinois en province se barricadent et s’isolent de façon à se protéger empêchant tout ‘étranger’ (chinois extérieur à la province) de s’y rendre d’en sortir, quelque soit sa situation personnelle (le récent régime de points séparant bons et mauvais citoyens permettra-t-il de sortir de ce malaise ? Ah ah ah. )

Les Chinois du centre de la Chine, notamment les wuhanais, ne sont pas avares de colères ou de critiques. Il faut bien avouer cependant que cette région soutient de longue date le parti communiste. La première révolution chinoise, en 1911, se déroula en effet dans la ville de Wuhan. Un cadre du parti que j’ai récemment entendu parler à la télévision déclarait ainsi au sujet de sa conception du parti communiste et de son leadership sur la société chinoise : il faisait la comparaison entre le parti et un grand bateau : le bateau et sur les flots, il navigue sur le peuple, mais si le peuple s’agite trop, s’il fait trop de remue-ménage, c’est-à-dire en un mot s’il y a gros temps, et que la mer soit démontée, le bateau risque de sombrer avec son timonier, donc le parti peut se méfier du peuple. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on voit depuis peu des agents de police, sur les routes avec un outil qui ressemble fort à un filet à papillons, pour emprisonner la tête des récalcitrants qui oublieraient de porter leur masque hygiénique (mais ce n’était qu’un exercice apprend t’on. )

l’auteur de cet article

Les reproches à l’encontre du parti lorsqu’ils viennent de l’étranger ont ce défaut à mon avis de renforcer en retour un certain nationalisme chinois borné. Je me demande s’il ne faudrait pas entamer un dialogue avec les secteurs progressistes de la société chinoise, pour éviter d’apparaître comme l’européen dispensant la bonne parole et la démocratie, pour faire court.

Ce pays là semble avoir voulu un chef pour le diriger comme un arbre solide protège de la pluie, mais puisant ses racines dans la population qui y voit une direction à suivre. Peut-être de notre côté faudrait-il admettre que toute direction centralisée n’est pas national socialisme, et qu’il peut exister des effets bénéfiques un tel système à condition de ne pas réprimer les libertés et d’organiser la liberté d’expression davantage que ce que l’on voit jusqu’à présent ?

Un certain degré d’humanité n’est pas antinomique avec la planification gouvernementale ? La solution me semble toujours être le dialogue entre pays différents, cultures différentes. Ne pas assimiler l’ensemble de la population chinoise aux travers de son régime, dont elle n’est pas entièrement responsable. Seulement à cette condition nos frères et sœurs humains pourront s’émanciper.

Vincent L.