Puigdemont

Pérégrination outre-Rhin

Il fallait bien que ça arrive. C’est en revenant de Finlande, comme chacun sait, que Carles Puigdemont « ex-Président » de la Generalitat de Catalogne, s’est fait arrêter comme un bleu par la police allemande, sur une autoroute du désormais célèbre Schleswig-Holstein… dont je n’avais plus entendu parler depuis ma lointaine troisième et un cours (du volubile M. Lacombe !) sur « la crise des duchés » de 1864. Souvenirs, souvenirs…

Ainsi donc l’Etat central espagnol jubile, saute en l’air, virevolte, danse : sa plus belle proie est dans un filet, youpi !

Bon… pas encore me direz-vous. Ou tout au moins pas dans le sien. Il lui faudra attendre pour resserrer, sourire sardonique n’en doutons pas, les lacets de son piège sur l’infortuné séditieux. Mais bon… l’espoir fait vivre ! On imagine les coups de fils, télex (oui, je date), fax (idem) et mails crépitants entre gouvernements et ministères teutons et castillans, Mme Merkel n’ayant jamais caché tout le mal qu’elle pensait de l’immonde séparatisme catalan (beurk…). Imaginez un peu que cela donne des idées aux bavarois, ces indécrottables papistes !

Il est vrai, cependant, que l’affaire catalane s’apparente plus, aujourd’hui, à un ballet de robes noires qu’à une joute d’orateurs. Là où Clemenceau et Jaurès s’affrontaient à gorge déployée (euphémisme), on se lynche, de nos jours, dans le salon feutré du juge Pablo Llanera.

Celui-ci vient, il y a trois jours à peine, de renvoyer 25 personnalités politiques catalanes (au premier rang desquelles le ci-devant Président) devant « l’Audiencia Nacional » pour rébellion et sédition. Pour certains, 25 années de réclusion en vue. Na ! Y avait pas qu’à… ! Pour des motifs que l’opinion publique française ignore totalement, tant paraît abyssale l’indifférence médiatique entourant tout cela, mais qui prêteraient à rire si elle venait à les connaître (il est vrai qu’elle a elle-même d’autres chats à fouetter, et que sa réalité est – une fois encore – bien dramatique… en Occitanie même).

Donc, outre-Pyrénées, un juge qui fait la pluie et le beau temps en Catalogne, envoyant à l’ombre, les uns après les autres, celles et ceux qui ont encore le courage – ou l’outrecuidance – de prétendre à des responsabilités (autonomes) en pays catalan. Et voilà que tout va encore se jouer, outre-Rhin (décidément, nous, Français, avons bien de la chance d’avoir de tels voisins !), dans les prétoires. Remarquez, l’avantage de tout cela c’est que cela permet aux politiques de décliner toute responsabilité au nom de la séparation des pouvoirs, le politique n’étant point juge (Ponce Pilate, sors de ce corps !).

Un premier juge doit décider si le sieur Puigdemont doit encore jouir de la liberté de traîner ses grolles dans les rues de Kiel (capitale du Schleswig-Holstein, je viens de chercher sur Wikipédia, j’avoue), pleurant sa lointaine Méditerranée et sa douce Gérone (ville jumelée à… Albi, faut-il le rappeler ?), ou s’il doit croupir dans une cellule obscure, le méchant, au pain et à l’eau. Puis, quelle que soit sa décision, un autre juge se penchera sur le point de savoir si l’Allemagne doit répondre favorablement à la demande d’extradition espagnole. Il a 60 jours pour cela au maximum (au moins on apprend quelques bribes de droit avec cette affaire, chouette !).

Et pendant ce temps… pendant ce temps…

Les chefs d’Etat se taisent (« Ouf, ce n’est pas tombé sur moi »… semble bien être le point oméga de leur réflexion dans ce dossier), les ministres se dérobent, les chancelleries tournent les yeux.

Et nous tous, nous laissons faire. Puigdemont arrêté, en Allemagne, en exécution d’un mandat d’arrêt international, pour avoir donné la parole à un peuple qui la demande sans cesse depuis trois siècles… cela laisse rêveur.

Il est vrai que certains rêves sont des cauchemars.

Ne laissons pas aux catalans, encore matraqués hier, le monopole de l’indignation. Partageons-la avec eux, peut-être cela allégera-t-il le poids qu’ils sont sommés de supporter, à défaut d’apaiser leur douleur.

Cette situation, inqualifiable, doit tous nous indigner.

Nous fûmes tous, naguère, des « juifs allemands » (je date, vous dis-je). Aujourd’hui, nous devons tous, tous, être aux côtés des catalans. Catalans avec eux, nous-mêmes.

Pourquoi ? Parce qu’ils sont seuls. Et que la plus belle forme d’honneur s’attache, toujours, au regard compatissant porté sur celui qui est à terre, l’aide qu’on lui apporte, le soutien qu’on lui donne, aux risques que l’on court pour lui… simplement parce qu’un plus puissant est en train de poser sur sa tête sa botte de « supérieur », simplement parce qu’un plus puissant est en train de l’humilier.

C’est ce que fit la France, autrefois. Ou, mieux encore, ce qui la fit.

Son silence, aujourd’hui, est une flétrissure.

Jérôme Vialaret