Naucelle (12) : théâtre…

Blog portrait de groupe (2)RAPPORTER LEURS PAROLES

L’an dernier, Claire, une jeune femme qui vit dans la région, parle à l’ une de ses amies de l’oeuvre de Charlotte Delbo et notamment de sa pièce « Qui rapportera ces paroles ».Cette amie, Aurore Lerat, est comédienne, chanteuse et metteur en scène de la Compagnie théâtrale tarnaise « L’Espante » Elle lit ce texte bouleversant qui est aussi une remarquable leçon d’espoir…. (voir le calendrier des représentations en fin d’article)

Photo ci-dessus :  “pause- détente” des comédiennes entre deux séquences de répétitions

 Charlotte Delbo :

  [Née en 1913 en région parisienne, sténodactylo bilingue, Charlotte Delbo est la secrétaire du grand homme de théâtre Louis Jouvet. Elle épouse un militant communiste,  Georges Dudach, en 1936. Lorsqu’éclate la seconde guerre mondiale, le couple s’engage dans la résistance.

photo-femmes-150x150Le 2 mars 42, ils sont arrêtés à leur domicile. Georges est aussitôt fusillé au Mont Valérien. Charlotte, emprisonnée au fort de Romainville, fera partie du convoi des 230 résistantes françaises déportées au camp d’extermination d’Auchwitz-Birkenau puis à celui de Ravensbruck. Seules 49 rescapées en reviendront dont Charlotte Delbo.  « A toi d’être notre porte-parole » lui demandaient ses compagnes dans l’enfer concentrationnaire. Celle qu’elles appelaient  « la Jouvette » s’efforcera  de  tenir, de ne pas lâcher  pour « rapporter la vérité brute et nue ». Libérée, bien que malade et à jamais brisée, elle mettra son talent d’écrivain au service de cette cause : raconter l’indicible, témoigner, en écrivant l’effrayante réalité des camps de la mort mais aussi l’ entraide, la solidarité des femmes qui se soutiennent face à la barbarie de leurs conditions de survie. En 1946, elle écrit « Aucun de nous ne reviendra », publié près de vingt ans plus tard et dont elle tirera la pièce de théâtre « Qui rapportera ces paroles », jouée pour la première fois à Paris en 1974. Delbo y redonne la parole aux 23  femmes du block 26  dont elle fit partie, qui  tour à tour espèrent et désespèrent, se soutiennent, évoquent les bonheurs passés et l’hypothétique futur, s’efforcent de survivre, accompagnent celles qui n’y parviennent pas. ] D’après « Charlotte Delbo, poète de la mémoire » de Rolande Causse . Éditions Oskar. 2015 932393170_MML

 …. et d’humanité auquel  Aurore et Claire sont d’autant plus sensibles qu’existe tout près de Gaillac, le sinistre « camp de Brens ». Baraquements longtemps « oubliés », dissimulés sous les verts feuillages qui bordent le Tarn. Le sordide derrière la poésie du paysage. Où des femmes françaises et étrangères furent incarcérées entre 1942 et 1944. Elles-aussi se sont entre aidées, ont partagé leur maigre pitance avec les plus faibles d’entre elles, ont joué des pièces de théâtre-Molière et Courteline entre autres-, pour apporter un peu de rêve et d’humanité dans leur  sordide existence. Lorsque la police est venue chercher les juives incarcérées à Brens pour les  déporter au camp d’Auschwiz-Birkenau, toutes se sont battues physiquement avec les « forces de l’ordre » pour retenir leurs compagnes. Sans succès, hélas. Aucune d’entre elles n’est revenue.

Une raison supplémentaire pour monter dans la région « Qui rapportera ces paroles ». Un défi, un vaste projet que la Compagnie « L’Espante » va décider de relever . Il faut trouver des partenaires, des financements, des lieux susceptibles d’accueillir le spectacle.. . et de nombreuses comédiennes .

Mission accomplie en quelques semaines avec énergie et détermination !

Vingt-six femmes, venues d’horizons divers, jeunes et moins jeunes, répondent à l’appel de la Compagnie tarnaise pour participer au spectacle rebaptisé : « Nous rapporterons ces paroles ».

Première rencontre en avril 2015. Présentation du projet et des modalités de travail. Lecture de la pièce. Discussions, réflexions. Toutes ne donneront pas suite. Charge émotionnelle trop forte ou calendriers incompatibles.

Quinze comédiennes non professionnelles – mais ayant pour la grande majorité une expérience artistique, musicale ou théâtrale – vont s’engager à consacrer un dimanche par mois aux répétitions pendant 10 mois et assurer les six représentations prévues en mai et juin 2016 en Midi Pyrénées. Lise-Marie Eudier, comédienne professionnelle au sein de la compagnie, participe également à l’aventure comme lectrice et prend en charge une partie des exercices d’ échauffement. Le projet ne se cantonne pas à la réalisation d’une lecture théâtralisée, il est aussi une véritable aventure humaine. Chaque participante peut y développer sa créativité au sein d’un acte de mémoire, un acte citoyen qui invite à la vigilance et au questionnement.

Afin de laisser un écrit sur ce spectacle en gestation, j’ai souhaité assister à quelques répétitions et interviewer une à une les participantes.

Toutes se disent bouleversées et concernées par l’histoire de ces femmes sacrifiées sur l’hôtel de la barbarie. En écho aux conditions de vie actuelles de millions d’autres femmes de par le monde, brimées et empêchées de vivre librement.

Les comédiennes me disent leur fierté de faire partie de ce projet, leur agréable complicité, leurs attentes des représentations futures, sans véritable appréhension. Si l’émotion est bien là, elle est contenue par le contexte chaleureux qu’elles ont su créer entre elles.

Lors des répétitions auxquelles j’ai assisté, je fus d’emblée impressionnée par le climat de confiance et de convivialité qui règne entre les participantes, et entres ces dernières et leur metteur en scène dont toutes louent le talent, le professionnalisme et son écoute attentive et bienveillante à leur égard.

Concentrées, complices, réellement ensemble comme l’étaient les femmes du Block 26, elles se sont emparées de leurs misérables existences de déportées et les font revivre à travers mots, larmes et chants. Leur rendant ainsi le plus beau des hommages. Comme en écho à leur passé familial pour certaines, et poussées par l’urgence de « rapporter leurs paroles », maintenant que la plus part des survivants et survivantes de l’holocauste sont  sur le point de disparaître.

Mais les retrouvailles mensuelles des comédiennes, tout comme leurs moments de pause dans les répétitions, sont chaleureuses et souvent rieuses. Sans pathos ni rivalité, elles expriment sereinement leur plaisir de partager « entre femmes » cette aventure exceptionnelle.

La première de « Nous rapporterons ces paroles » aura lieu le 24 mai à Naucelle , dans l’Aveyron. Cinq autres représentations suivront en mai-juin, dont une à la prison pour hommes de Saint-Sulpice.

 Pour le calendrier, voir le site http://www.compagnielespante.fr

 1- sources biographiques  : « Charlotte Delbo, poète de la mémoire », de Rolande Causse, Éditions Oskar, 2015.

 Nane VEZINET.

Représentations

Mardi 24 mai 2016 – MFR Naucelles – 20h

Jeudi 26 mai 2016 – MFR St Sernin sur Rance – 20h

Dimanche 29 mai 2016 – MJC Gaillac – 19h

Mercredi 1er juin 2016 – MFR Terrou – 20h

Samedi 4 juin 2016 – Château Bruniquel – 20h30

Mercredi 8 juin 2016 – Maison d’arrêt St Sulpice – 15h

co production Cie l’Espante, Ariame, financée par la Délégation Départementale du Droit des femmes et à l’Egalité, Réserve Parlementaire J.Valax, soutenue par MJC Gaillac, Service culturel mairie Gaillac