Marie Le Jars de Gournay et la notion d’égalité
Marie Le Jars naquit en 1565 à Paris. Son père décède alors qu’elle n’a que 13 ans. Malgré l’éducation traditionnelle que tente de lui inculquer sa mère, peu enthousiasmant pour une fille, elle décide d’apprendre seule le Latin et le Grec ancien. Vers l’âge de 18 ans, elle découvre la 1ère édition des « Essais » de Michel de Montaigne qui sont pour elle comme une révélation ! En 1588, elle parvient enfin à rencontrer Montaigne. Bien que 35 ans ne les séparent, une forme de communion intellectuelle les unit*. Rapidement Montaigne la désigne comme sa « fille d’alliance » !
Devenue veuve en 1592, Françoise de Montaigne charge Marie le Jars de Gournay de publier une nouvelle édition des « Essais » avec des annotations du philosophe. Malgré cette publication, elle a du mal à se faire accepter au sein de l’intelligentsia européenne d’alors ! Heureusement Marie de Médicis et Richelieu lui octroient une pension royale, ce qui lui donne le privilège de publier ses propres écrits.
En 1622, elle rédige « Égalité des hommes et des femmes » (initialement intitulé « Les Avis de la Demoiselle de Gournay ») où elle y explique qu’il y a autant de différences entre les femmes et les hommes qu’entre les femmes entre elles ou qu’entre les hommes entre eux. Pour elle (comme pour moi), l’éducation, le milieu social, l’origine géographique sont plus certainement des facteurs de différenciation que le sexe biologique.
Pour Montaigne comme pour Marie de Gournay, la Nature engendre des êtres différents. Mais il serait vain de hiérarchiser ces différences et d’en faire soit des avantages sociaux, soit des handicaps (faudrait-il savoir ce qui est une perfection ou une imperfection aux yeux de la Nature !). Naître de sexe féminin ou de sexe masculin ne devrait donc procurer aucun avantage particulier comme aucun désavantage. Ainsi la place dominante du sexe masculin dans les sociétés occidentales** devient dès lors une usurpation.
Exclues de l’égalité dans les droits et dans les faits sociaux avec les hommes, les femmes se voient privées de Liberté. L’émancipation, gage de liberté, ne peut-être acquise qu’à partir de l’obtention de l’égalité sociale, économique, politique. Il ne peut y avoir d’égalité au sein d’une société, tant qu’il existera en son sein des classes, des castes, des groupes ayant autorité et privilèges les uns sur les autres. Mais la notion d’égalité, ne doit pas être confondue avec l’uniformisation ou l’abolition des différences biologiques. Il s’agit bien de l’égalité dans les conditions de vie, dans l’accès égal aux moyens permettant l’existence la plus épanouissante possible. Sachant que nous avons, toutes et tous, des désirs, des envies, des besoins différents, il serait vain de vouloir les nier (puisque la diversité est une richesse). Pour parvenir à cet épanouissement, à cette liberté, l’égalité des droits, l’égalité entre les femmes et les hommes doivent devenir effectifs.
Dans son pamphlet « Égalité des hommes et des femmes », elle s’en prend aux idées, aux mœurs et aux institutions qui participent à perpétuer la subordinations des femmes au sein de la société. Elle se réfère notamment à des échanges épistoliers entre Marguerite de Valois*** et François Loriot qui finiront par faire admettre au prêtre jésuite que certaines femmes, pour peu qu’on leur laisse accéder aux études, sont en capacité d’acquérir de pertinents savoirs intellectuels (précision : certains en doutaient) ! Elle ne cherche pas à prouver une éventuelle supériorité des femmes sur les hommes, comme tentait de le faire alors une partie du mouvement « précieux », mais elle préfère interroger la pertinence d’une division des sexes en deux camps opposés : nul besoin de considérer la Nature**** d’un individu pour le classer hiérarchiquement ! Elle en profite pour remettre en cause la pertinence de la loi salique qui transmet la couronne du royaume de France aux héritiers mâles, écartant ainsi les femmes de l’exercice du pouvoir royal.
4 ans plus tard, en 1626, Marie de Gournay publiera « Le grief des Dames ». Dès la préface elle donne le ton : « Bienheureux es-tu lecteur si tu n’es point de ce sexe qu’on interdit de tous les biens, le privant de la liberté ». Marie de Gournay essuyait depuis un certain temps des attaques arrogantes et divers quolibets, non pas sur son œuvre que peu ont pris le temps de lire, mais sur son physique ou sur son célibat ! Dans cet ouvrage, elle critique la vacuité des commentaires masculins émis à l’encontre des femmes qui veulent s’exprimer publiquement. Elle y décrit et accuse ces hommes qui tentent, par divers artifices, comme l’humour misogyne et la galanterie condescendante, de dénigrer les femmes abordant des sujets considérés « sérieux », donc « masculins ». Elle rencontre alors le mépris qui guette souvent une femme instruite ou qui tend à le devenir.
Elle conclura un de ses chapitres par ce propos toujours d’actualité : « (…) l’ignorance est mère de présomption. »
Bien qu’elle soit la cible d’hommes de pouvoir, d’ecclésiastiques et d’homme de Lettres, elle trouvera en leur sein des amis sincères, tels Théophile de Viau, Gabriel Naudée et François de la Mothe le Vayer.
En juillet 1645, alors que Molière vient d’être emprisonné pour dettes, Marie le Jars de Gournay s’éteint*****.
Patrice K
1* Je me garderai bien de lancer la rumeur d’un éventuel lien amoureux entre eux. Ici c’est « Confluences 81 » et non pas « Voici » ou « Closer » !
2* cet article n’a pas prétention d’étudier la domination masculine au sein de toutes les sociétés !
3* Marguerite de Valois (1553-1615) devenue Marguerite de France en 1589 après l’accession au trône du royaume de France de son époux Henri de Navarre (qui devient dès lors Henri IV) :
4* La Nature n’a pas divisé l’humanité en deux groupes sexués différents ! Mais j’aborderai ce sujet dans un autre article).
5* Il n’y sans doute aucun rapport entre les deux évènements, c’était juste pour le plaisir de recontextualiser dans le temps !