A la fin février 1942 débute le “procès de Riom” : le régime de Vichy voulait par ce moyen sanctionner “définitivement” certaines personnalités importantes de la III°république ; Edouard DALADIER en faisait partie tout comme Léon BLUM ; mais rien ne se déroula comme prévu : les accusés se transformèrent en accusateurs et le procès fut ajourné sine-die début avril ; les allemands ont fait pression pour qu’il en fût ainsi.
Né dans le Vaucluse en 1884 DALADIER est un “self made man»: ses parents sont boulangers à Carpentras ; lui est reçu major à l’agrégation d’histoire. Il est frappé tout jeune par le virus de la politique sous l’influence de HERRIOT son professeur ; c’est dès lors le cursus habituel : maire de Carpentras en 1911, député du Vaucluse en 1919, fonction qu’il occupe jusqu’en 1958 (avec interruption de 1940 à 1945), ministre, président du conseil à plusieurs reprises entre 1930 et 1940 … Son appartenance au groupe radical (centriste) lui permet de cautionner diverses tendances politiques depuis la droite modérée jusqu’au PC en 1936 ! Et le système parlementaire de la III°république y trouve son compte. Malgré les apparences, sa vie publique n’a rien d’un long fleuve tranquille : pendant la première guerre il obtient le grade de lieutenant, la légion d’honneur et quatre citations ; en 1934 au lendemain de l’affaire STAVISKY (8 janvier) il est amené à devenir président du conseil. Mais après les émeutes antiparlementaires (6 février), attaqué par l’extrême-droite et l’extrême-gauche (PCF), il doit démissionner ; un an plus tard à la tête du parti radical il favorise le rapprochement en vue de l’union des gauches ; en juin 1936 nommé par BLUM ministre de la guerre (il a l’habitude de ce ministère) il conserve ce poste jusqu’en mai 1940. L’époque est difficile autant sur le plan économique – la production industrielle est inférieure à ce qu’elle était dans les années vingt – que sur le plan diplomatique – le régime allemand montre de plus en plus sa vraie nature ; et le régime parlementaire français ses limites : au début de 1936 la remilitarisation de la Rhénanie ne provoque que peu de réactions à cause de l’instabilité parlementaire tout comme l’Anschluss (rattachement de l’Autriche au Reich ) au début de 1938 ou la guerre d’Espagne malgré la présence de l’extrême-gauche dans les brigades internationales . Lorsqu’éclate l’affaire des Sudètes c’est à dire le démembrement de la Tchécoslovaquie DALADIER et son gouvernement réagissent ; mais l’Angleterre refuse de soutenir la France dans un conflit éventuel ; et malgré les efforts financiers pour réarmer le pays avec un budget en hausse depuis 1936 -DALADIER est ministre de la guerre et en même temps à partir de 1938 président du conseil – il sait que le pays n’est pas tout à fait prêt. La conférence à quatre de Munich (CHAMBERLAIN DALADIER MUSSOLINI HITLER) en septembre marque le recul des démocraties : HITLER ne cède rien sur les Sudètes ; et dès que la Pologne est envahie, prise en étau entre l’Allemagne et l’URSS au lendemain du pacte germano-soviétique le gouvernement DALADIER déclare la guerre à l’Allemagne (3 septembre). Jusqu’en mai 1940 la vie politique se déroule comme en temps de paix : DALADIER démissionne en mars tout en poursuivant son mandat de ministre de la guerre : lors de l’offensive allemande en mai il essaie de garder des relations diplomatiques avec la Belgique et la Hollande, en vain. Quand tout semble perdu il s’embarque à bord du Massilia avec d’autres personnalités pour poursuivre la guerre depuis le Maghreb…PETAIN président du conseil obtient l’armistice le 22 juin : les passagers du Massilia sont donc des déserteurs qu’on embastille en métropole. Le procès de Riom doit “légaliser” cet embastillement ; entre temps dès aout 1940 PETAIN a obtenu les pleins pouvoirs ! BLUM GAMELIN et DALADIER sont les “vedettes” du procès ; chacun a une ligne de défense différente mais le régime espère rétroactivement les faire condamner d’autant que la seule période de 36 à 40 (comme par hasard) doit être examinée ; toute la presse internationale se retrouve à Riom. DALADIER en tant que ministre de la guerre doit se justifier sur la baisse des crédits alloués à l’armement ; Or ils sont en hausse depuis 1936 ; l’accusation ne peut citer quelque chiffre que ce soit ! DALADIER lui en cite et se transforme en accusateur démontrant ainsi que la défaite de 40 est due aux cadres de l’armée ; on lui reproche d’avoir organisé la baisse du temps de travail hebdomadaire dans les usines d’armement : depuis 1938 les quarante heures n’existent plus dans ce secteur ! La défense de BLUM s’organise sur le terrain politique : elle est tout aussi efficace. Le procès tourne au ridicule ; il est ajourné sine die début avril mais les intéressés restent en prison avant d’être transférés comme otages en Autriche pour DALADIER lors de l’invasion de la zone sud (novembre 42) ; les américains les libèrent en 1945. Au lendemain de la guerre DALADIER retrouve son siège de député dans le Vaucluse et il devient l’un des soutiens de Pierre MENDES-FRANCE. Mais il n’accepte pas la constitution de la V°. En 1958 il est battu aux législatives ; il se retire de la vie publique : il décède en 1970.
On a reproché à DALADIER les accords de Munich en oubliant que la situation internationale était complexe ; on a oublié son rôle dans le procès de Riom : le “taureau” du Vaucluse ne le méritait pas.
Jean-Pierre SHIEP