La Corse n’est qu’un rocher dans la méditerranée occidentale ; et pourtant ce petit territoire a donné naissance à de nombreux personnages importants le plus souvent patriotes français jusqu’au bout des ongles, mais quelquefois aussi indépendantistes dans l’âme : tel était Pascal PAOLI qui voit le jour en 1725 à Mérusaglia , village de la Castaniccia “en deçà des monts”, détail qui a son importance à une époque où la seule Corse orientale “existe” ; l’île à l’époque est en pleine fièvre insurrectionnelle : elle essaie par tous les moyens de se débarrasser de la tutelle de la “république” de Gênes et peut-être même de toutes les tutelles extérieures ; ce “rocher” , base stratégique et comptoir commercial , intéresse les espagnols , les français, les anglais…En 1729 c’est le début de la “révolution corse «qui va perdurer jusqu’en 1769 . Hyacinthe, père de Pascal joue un rôle important dans ce mouvement : en 1739 il doit s’exiler à Naples rivale de Gênes, suivi de son fils ; pour le jeune homme c’est un séjour capital : il y apprend les langues étrangères, lit MACHIAVEL et MONTESQUIEU, se forme à l’économie, se perfectionne à l’école militaire dans l’art de la guerre…
En somme l’apprentissage d’un futur homme d’état ! Sa carrière débute en fait en 1755 : il rentre en Corse. Il est immédiatement nommé par la consulte de Casabianca (large assemblée convoquée pour une question d’intérêt capital) général en chef pour conduire l’insurrection avant d’être proclamé général du «royaume de Corse” ce qui provoque une rivalité importante avec un dénommé MATRA (autre grande famille du secteur) qui sera tué au cours de cette guerre intestine. Il met tout de suite en œuvre sa “constitution”: séparation des pouvoirs avec une grande importance accordée au judiciaire (dans ce “pays” la vendetta n’est pas un vain mot !); le législatif appartient à la diète élue au suffrage universel : les femmes veuves ou célibataires sont électrices ! Enfin la diète élit un conseil d’état (sorte de conseil des ministres) : c’est l’exécutif que préside PAOLI. Cette belle constitution connaît cependant quelques irrégularités : nomination à vie de PAOLI , présence dans la diète de personnalités non-élues , tentatives de retour à un suffrage indirect…Mais le travail accompli est considérable : fondation du port d’Île Rousse pour contrebalancer l’influence des grands ports comme Bastia ou Calvi restés dans l’orbite génoise , création d’une flotte , d’une monnaie, d’un journal officiel , d’une université à Corte , introduction de la pomme de terre…Malgré l’enthousiasme des philosophes comme VOLTAIRE ou ROUSSEAU on parlera plutôt d’une république de notables.
Dès 1768 cet édifice est mis à mal par l’annexion de la Corse à la France : Gênes complètement ruinée s’efface pour rembourser sa dette française : PAOLI et les siens essaient de résister avant d’être défaits à Ponte Novu entre Bastia et Corte en mai 1769. Pour PAOLI c’est l’exil d’abord en Toscane puis en Angleterre où il est devenu célèbre : le roi l’accueille à bras ouverts. Les corses eux sont devenus citoyens de Louis XV qui ennoblit entre autres les BONAPARTE mais la guérilla pour l’indépendance se poursuit. On connaît alors PAOLI dans toute l’Europe. La Révolution française le conduit d’abord à Paris où il est reçu par toutes les forces progressistes : LAFAYETTE, l’assemblée, le club des jacobins…puis dans sa patrie dont il a été nommé “commandant de l’île” par LOUIS XVI ; le statut proposé par la Révolution convient à PAOLI et à son équipe mais les choses se détériorent sous la Convention à partir de 1793 ; le jacobinisme ne pouvait accepter une certaine autonomie. PAOLI se rapproche alors de l’Angleterre ce qui crée pas mal de difficultés avec les habitants de l’île et en 1794 la Corse devient une vice-royauté anglaise : la “perfide Albion” rêvait d’agrandir son empire colonial ! PAOLI est perdant sur tous les tableaux : la Révolution le considère comme traitre à la patrie ; et c’est un anglais qui est nommé à la tête de la vice-royauté ! Les anglais préfèrent rappeler chez eux ce patriote encombrant qui risque de leur causer des ennuis dans son île. Il mourra à Londres en 1807. Quant à l’empire anglo-corse il n’a perduré que deux ans.
Les anglais ont honoré la mémoire de PAOLI en l’enterrant à l’abbaye de Westminster ; c’est seulement sous le second empire que ses cendres sont transférés en Corse dans son village natal ; accepté par les français Pascal PAOLI est plébiscité par les anglo-saxons : on trouve beaucoup plus d’articles biographiques en anglais qu’en français ; et cinq villes américaines portent son nom. Mais pour les corses il représente leur âme dans ce qu’elle a de plus secret et de plus fier un peu comme la région de Corte dont il est originaire.
Jean-Pierre SHIEP