Confluences 81 rubrique “femmes” : n°122

122-page-20-kahenaDihya « Tadmut La Kahena »* (674-704)

 

Les Berbères se sont longtemps dressés contre l’envahisseur romain. Au VII° siècle, un autre envahisseur tente de conquérir et de convertir l’Afrique du Nord à une nouvelle religion. Une guerrière berbère s’est dressée, pendant quelques années, contre l’avancée des armées musulmanes vers l’ouest du Maghreb.

Cette princesse des Aurès, Dihya, devint cheffe d’une tribu probablement zénète** après la mort du chef, son propre père. Pour venger les massacres dont furent victimes de nombreux berbères, elle donne l’ordre*** de tuer le général Oqba Ibn Nafi Al Fihri, responsable des tueries. L’exécution de ce général Omeyyade (en 683) par une coalition carthagino-berbère déclenche une nouvelle guerre entre Berbères et Arabes.

Après la mort au combat du chef berbère Koceila, en 686, elle reprend le flambeau de la résistance face aux Omeyyades. Parvenant à unir plusieurs tribus d’Afrique du Nord elle réussit à défaire les « colons » arabes au cours de plusieurs batailles grâce à une stratégie utilisant alternativement archers et cavaliers. Mais l’armée de l’émir Hassan Ibn Nouâmane, ayant reçue des renforts du calife Ibn Marwan, parvient à la vaincre une première fois en 702. Puis une dernière fois lors de la bataille de Tabarqa, en 704. Elle est décapitée, au cimeterre, sa tête envoyée en trophée au calife Abd al-Malik (qui résidait loin des combats, dans une ville de l’actuelle Syrie). Une légende dit que c’est  le neveu du général Hassan Ibn Nouâmane, à qui elle avait accordé l’anaïa (rite coutumier de protection, d’adoption) devenu probablement son amant, qui la poignarde dans le dos. Avant de livrer son ultime bataille, elle avait réussit à convaincre ses deux fils de négocier avec l’ennemi. L’un d’eux sera ensuite nommé gouverneur des Aurès par le conquérant victorieux qui utilisera les troupes berbères pour envahir l’Andalousie.

Ne pouvant accepter qu’une femme cheffe d’armée puisse tenir tête pendant plusieurs années à des troupes masculines, décidées à conquérir un nouveau territoire, nombreux seront ses adversaires à lui attribuer des pouvoirs magiques, voire maléfiques, la considérant comme une sorcière ou une alliée des démons ! Plus prosaïquement on peut penser que les guerriers musulmans du premier siècle n’envisageaient pas d’être sous la tutelle d’une femme. D’une femme libre de surcroît. En atteste l’impossibilité, faite aux femmes, d’accéder à des fonctions hiérarchiques, notamment au sein de clergé musulman****. Hélas, il ne reste pas de trace de la composition de ses troupes, notamment pour savoir si celles-ci étaient composées ou non de soldates.

L’histoire dit qu’elle est la seule reine guerrière à avoir combattu les Omeyyades. Pour les Berbères, elle demeure un symbole de résistance. La légende fait le reste !

En 2003, une statue en son honneur a été érigée à Kenchela, dans les Aurès de l’Est algérien. L’artiste s’est inspiré d’anciennes pièces de monnaie à son effigie pour en dessiner le portrait.

Depuis quelques années (fin des années 1980’), un mouvement libéral féministe***** tente de contredire, de déconstruire les dogmes sexistes contenus dans les textes sacrés de l’Islam et de les réinterpréter afin de rétablir une égalité entre les genres disparue depuis l’avènement des systèmes patriarcaux. Que l’on pense que les dogmes religieux soient à abolir ou à améliorer, une chose me semble certaine : elles ont du travail sur la planche !

 

Patrice K

 

* En fonction de l’étymologie chaoui, son prénom « Dihya » viendrait de « Belle gazelle » ou de « grande gazelle ». Son surnom, « la Kahena » viendrait quant à lui de l’arabe signifiant « prophétesse » ou « sorcière ».

 

** Les zénètes sont des populations amazighes du Maghreb (jusqu’au delta du Nil). Ils furent arabisés au VIII° siècle

 

*** Selon le récit d’Ibn Khaldoun.

 

**** Le patriarcat religieux se fissure légèrement sous l’influence d’un certain nombre de femmes musulmanes. Ainsi, en 1994, au Cap en Afrique du Sud, Amina Wadud, théologienne musulmane étasunienne, a eu le privilège de diriger le sermon introductif d’une khutbah (prière) dans une mosquée.

 

***** Le 1er congrès international du Féminisme musulman s’est déroulé à Barcelone en octobre 2005.