Chacun cherche son CAAT[1]
Voir en fin d’article la mise à jour du 1er janvier 2017….
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Albi, un patrimoine de l’humanité sans humanité ?
Août 2016, Albi : deux familles de migrants (13 personnes au total, dont 6 enfants de 13 ans à 1 an) à la rue dans la parfaite indifférence des pouvoirs publics, qu’il s’agisse de la mairie ou de la préfecture. Pas parfaitement parfaite l’indifférence cependant : ces personnes à la rue seront suffisamment gênantes dans la touristique cité albigeoise pour attirer l’attention des agents de police. Ces derniers, pour faire place nette, retireront aux familles leurs toiles de tente, seul abri dont elles disposaient. La précarité de ces campements ne saurait s’harmoniser avec la richesse du patrimoine de l’humanité qu’abrite Albi. On ne peut pas s’occuper et de l’humanité et de son patrimoine, il faut choisir : l’un amène plus de touristes que l’autre.
Il faudra l’occupation de ce patrimoine, à savoir la cathédrale, la séquestration des militants dans cette cathédrale par l’archiprêtre qui jure, pourtant, que c’est lui qui est pris en otage, l’intervention de l’évêque auprès de la préfecture pour que cette dernière daigne enfin prêter attention à ces familles sans logis, membres de cette humanité dont le patrimoine a été investi. Quant à dire que cette attention témoigne d’une marque d’humanité de la part de la préfecture, il y a un pas que je ne franchirai pas. Ce à quoi finit par consentir la préfecture c’est à deux nuits d’hôtel… Certes, après un rendez-vous à la préfecture, obtenu de haute lutte par les militants de RESF, les agents de la préfecture reconduiront ces nuits, mais le feront de jour en jour (d’un jour sur l’autre les familles ne savent pas si elles auront un hébergement pour la nuit) et en éparpillant les familles dans tout le Tarn, de Saïx à Lacaune en passant par Réalmont, sans leur donner les moyens pratiques ni financiers de se ravitailler…
Cet épisode aussi rocambolesque et cocasse qu’affligeant et éprouvant pour celles et ceux qui l’ont vécu mériterait à lui seul un article. Mais passons, parce que pendant ce temps, d’autres familles sont elles aussi jetées à la rue. En fait, elles le sont déjà… Pour l’un d’entre elles, c’est un copain du réseau qui l’hébergeait, la préfecture refusant d’apporter une solution (malgré une autre occupation, une maison de quartier cette fois, moins prestigieux, moins efficace), mais ce logement solidaire, que l’on savait provisoire, prend fin ; le 115 n’a pas place, la CAF – qui permettrait d’obtenir l’aide au logement à laquelle cette famille a droit – fait traîner le dossier depuis juin. Ce qui s’offre à cette famille de trois enfants de 12 ans à 1 an : la rue. A Albi riche de son patrimoine, l’humanité se précarise : logement précaire, situation administrative précaire, existence précaire, humanité précaire. La précarité, comme loi de la société dans laquelle nous vivons.
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La loi : la faire appliquer, en pointer les insuffisances
A Albi, c’est principalement RESF qui accompagne les familles de migrants dans leurs démarches administratives et juridiques, du moins quand le lien peut se faire entre ces familles et le réseau. RESF se fixe comme objectif, déjà lourd, ces démarches administratives et juridiques et, en principe, ne prend pas en charge la question du logement. Une association, « Pas sans toit 81», s’est récemment créée pour s’en occuper. Mais elle ne suffit pas à cette tâche sisyphéenne… La barrière de la langue s’ajoutant aux barrières administratives et juridiques qui se dressent devant les migrants le travail d’accompagnement que fournit RESF est indispensable. Mais accomplir ces démarches pendant que les personnes sont à la rue s’avère sinon vain, du moins quelque peu dérisoire. C’est pourquoi RESF se casse régulièrement la tête et les dents pour tenter de trouver de quoi héberger ces migrants que la préfecture laisse à la rue, faute de place disent-ils.
Les migrants, qu’ils soient ou non en situation régulière, ne sont pas les seuls à se heurter à la question du logement. Dans notre société d’abondance, les SDF abondent aussi. De manière inquiétante. Une récente étude de l’INSEE révèle qu’un SDF sur 10 a suivi un cursus universitaire et que 10 % sont titulaires d’un diplôme. Migrants et précaires semblent se rejoindre pour former une même communauté. C’est peut-être par la précarité de leur situation que les migrants s’intègrent le mieux à notre société, et c’est regrettable, pour ne pas dire scandaleux.
Pourtant l’accès à un logement est un droit, c’est même un droit fondamental reconnu par la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 :
art. 25-1 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ».
C’est aussi un droit constitutionnel inscrit, depuis 1946, dans la Constitution française. Le site vie-publique.fr, un site qui n’a rien de révolutionnaire, rappelle ainsi : « En France, le droit au logement est un droit constitutionnel, qui découle des 10e et 11e alinéas du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ». Et de préciser : « Ce droit est réaffirmé dans la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 (“loi Besson”) visant la mise en œuvre du droit au logement et dont l’article premier dispose : “Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation” ». Certes depuis la loi DALO (mars 2007) ce droit au logement se restreint aux personnes en situation régulière. Insuffisance et régression de la dura lex qu’il faut combattre, à mon sens, pour demander l’extension inconditionnelle de ce droit au logement selon les principes énoncés par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais, avant d’opérer cette révolution, contentons-nous déjà de la loi existante et précisons qu’elle dit aussi que les étrangers qui ont déposé une demande d’asile doivent bénéficier, pendant le traitement de leur demande, de conditions matérielles d’accueil, comprenant, entre autres, un hébergement en CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile) ou dans un centre d’hébergement d’urgence (mais aussi d’un accompagnement dans les démarches administratives et sociales et d’une allocation mensuelle). Exigeons a minima l’application de cette loi, le respect de ces droits. Exigeons aussi que toute personne qui a obtenu une autorisation de séjour soit logée : donner la possibilité de séjourner en France sans offrir les moyens d’y vivre relève d’une supercherie aussi retorse que cynique et abjecte.
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Le problème du logement est un faux problème : nous avons la solution (que les pouvoirs publics ne veulent pas trouver)
Oui mais voilà, en préfecture, quand on ne nous dit pas qu’au lieu de militer on n’a qu’à loger ces personnes chez nous, on nous rétorque que nos idéaux se heurtent à la réalité : il y a une crise du logement ; et de donner à l’appui du raisonnement l’exemple de ces « français de souche » qui sont eux aussi sans abri.
S’il y a tant de personnes sans logement, français ou étrangers, en situation régulière ou non, il y a une solution simple pour résoudre ce faux problème, une solution que la préfecture ne veut pas trouver : réquisitionner des bâtiments vides. Il y a en presque autant que de SDF, et dans un seul bâtiment on héberge plusieurs SDF. Simple, non ? Comment les pouvoirs publics n’y ont-ils pas pensé ? D’autant plus simple pour eux qu’ils disposent de ce pouvoir de réquisition…
En préfecture, quand on leur suggère cette solution au problème, ils s’énervent un peu. Et on commence par vous répliquer : « vous me citez le droit au logement inscrit dans la constitution française, je vous répondrai par l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui définit la propriété privée comme inviolable et sacrée ». « Mais, il existe des bâtiments publics qui sont vides, rétorque le militant un brin entêté, une salle des fêtes, par exemple ». « La préfecture n’a pas de salle des fêtes, elles appartiennent aux mairies, je ne saurais m’immiscer dans leurs affaires ». OK, on se renvoie donc la patate chaude… Comme du côté de la préfecture on commence manifestement par s’échauffer un peu, côté militant on n’ose intervenir pour préciser que le pouvoir et la décision du préfet prévalent sur ceux du maire, mais on insiste en proposant d’autres bâtiments qui sont propriétés de l’État ou dont l’État peut disposer. « Mais, fait-on remarquer en préfecture, ce n’est pas tout de réquisitionner, il faut encore meubler ». C’est vrai, ironise-t-on intérieurement, que quand on vit à la rue, on se soucie d’avoir sofa, vaisselier, et autre bahut. Si la police ne fait pas de saisie (j’allais écrire « réquisition »!), comme elle en a fait pour les tentes des familles, on trouvera de quoi « meubler » du nécessaire les bâtiments réquisitionnés. « Mais, poursuit-on en préfecture pour faire encore reculer la solution avancée, il faut sécuriser les lieux, je ne peux prendre la responsabilité de placer ces personnes dans un hébergement où je leur ferais courir des risques ». Et oui, parce que dans la rue où les laisse la préfecture ces personnes sont sans doute en parfaite sécurité. Et puis, pour plusieurs bâtiment publics vides, encore en parfait état, la mise en sécurité serait rapide et peu onéreuse. Encore faut-il vouloir le faire… Et en préfecture, manifestement, on ne veut pas.
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Le CAAT « « réquisitionne
Et puisque la préfecture ne veut pas, nous ferons ce qu’elle ne veut pas faire. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, dit l’adage…
C’est ainsi que le 20 septembre, se créait à Albi le CAAT, Collectif Accueil Avec Toit, composés de militants de diverses « obédiences », tous et toutes sensibles à l’épineux faux problème du logement. Ce collectif se pose pour objectif d’offrir un lieu d’accueil et d’hébergement aux personnes qui sont privées de toit, et ce quelles que soient leur nationalité et leur situation administrative. S’inspirant de ce que font le DAL et le CREA toulousains, le CAAT entend, par sa démarche : 1) augmenter les places d’hébergement d’urgence au besoin en appliquant la loi de réquisition sur les immeubles et logements vacants appartenant aux collectivités locales, aux administrations, à l’État, aux banques, aux compagnies d’assurances, à de gros propriétaires, à des professionnels de l’immobilier 2) faire respecter le droit au logement dont nous avons parlé plus haut 3) promouvoir des activités et une vie collectives qui assurent et développent l’entraide et la solidarité, tout en laissant aux personnes le soin de se gérer elles-mêmes sans exiger par exemple, comme c’est le cas quand elles sont placées en CADA, qu’elles demandent une autorisation quand elles veulent s’absenter quelques jours. J’avoue que je brode un peu sur une trame semi-personnelle semi-collective, parce que le CAAT, encore en construction n’a, à ce jour, pas défini sa charte.
Mais si le CAAT n’a pas fini de bâtir l’édifice sur lequel il repose, il est déjà bien actif dans la « réquisition » de logements déjà construits : devant l’urgence des situations, confronté au sort de ces familles sans logement, le CAAT décidait, le jour même de sa création, d’ouvrir, sans aucune effraction, d’anciens locaux d’ERDF au 18 rue Lavazière à Albi, des locaux abandonnés depuis quelques années et en parfait état. Une quinzaine de personnes y réside à ce jour : des parties privatives leur sont dévolues à l’étage ; le rez-de-chaussée est davantage consacré à la vie commune que nous essayons d’y mettre en place. Les idées d’ateliers germent : cours de langue (français, albanais, portugais…), cours d’alphabétisation, ateliers d’aide aux devoirs et activités ludiques pour les enfants, construction de bacs à légumes à jardiner, échanges de recettes de cuisine… Vivre ensemble concrètement, et non pas faire ce « vivre ensemble » que nous vend la langue de bois administrative et politicienne ; développer une culture commune et non pas acculturer l’autre ; construire ensemble les bases d’une nouvelle société plutôt que de chercher à s’intégrer dans une société dont nous contestons le fonctionnement et les logiques sur lesquelles elle repose.
Ce lieu de vie que le CAAT a ouvert a besoin de votre soutien :
– pour vivre et se développer : venez nous rencontrer, participer à des ateliers, en proposer, offrir votre aide logistique, …
– pour se défendre et se maintenir : la pression des pouvoirs publics commence à se faire sentir pour mettre fin à ce lieu qui remplit pourtant des fonctions qui leur incombent à eux et qu’ils refusent d’assumer. La visite d’un huisser escorté de forces de l’ordre et d’agents EDF le jeudi 29 septembre nous fait craindre une expulsion prochaine.
A peine créé, ce lieu est déjà indispensable : il est devenu le refuge de plusieurs familles. S’il disparaît, ces familles seront jetées à la rue.
Bérengère
Pour contacter le CAAT : 07 51 20 74 88 – caat@riseup.net
[1]CAAT est l’acronyme de Collectif Accueil Avec Toit, un collectif dont nous parlons dans cet article. Merci à Wil qui m’a fourni ce titre, qui me fournit la force, l’énergie et l’enthousiasme nécessaires pour rester dans la « bataille ».