Confluences 81 n° 121 : 4ème République (3)

121 page 12 Mrp (2)LE MRP…

Vous prononcez les trois lettres MRP. Votre interlocuteur vous regardera avec des yeux en points d’interrogation ; pour éclairer sa lanterne vous évoquerez POHER, BIDAULT ou SCHUMAN… Ah oui ! Celui qui a été deux fois président de la république par intérim…Quant au second il avait rejoint les rangs de l’OAS en 1962 ; on dit du troisième qu’il est le “père” de l’Europe …Qui se souvient qu’ils avaient joué un rôle important au sein du MRP et que ce parti avait été une composante du tripartisme au début de la IVème république ? C’est dans la guerre au sein de la Résistance qu’il faut chercher les origines directes du MRP : le PCF et la SFIO luttaient naturellement contre Vichy et le nazisme ; mais très rapidement des gens comme MOULIN, BROSSOLETTE et bien entendu DE GAULLE ont essayé de susciter la création de nouveaux partis pour contrecarrer l’idéologie de la Troisième République ; la tentative a échoué en partie à cause de la disparition tragique des deux premiers et aussi parce qu’il a fallu tenir compte de l’ascension du PCF.

Il n’en reste pas moins vrai qu’une composante chrétienne éloignée de la ligne de Vichy s’est développée entre 1941 et 1944 ; la plupart de ses leaders s’étaient déjà engagés dans ce sens dans l’entre-deux guerres, soit dans la mouvance démocratie-chrétienne, soit au sein de la CFTC. L’Action Française c’était l’ennemi à abattre ! Entre 1940 et l’été 44 la plupart des grandes figures de la “démocratie chrétienne” jouent un rôle essentiel que ce soit dans la résistance intérieure ou auprès de DE GAULLE à Londres. Aussi dès l’automne 44 trouve-t-on dans le gouvernement provisoire trois ministres MRP, G. BIDAULT aux affaires étrangères, F. DE MENTHON à la justice et P. H. TEITGEN à l’information. Lors du second gouvernement de DE GAULLE ils sont quatre dont E. MICHELET. Durant toute la Quatrième République pratiquement tous les gouvernements ont fait appel au MRP. A plusieurs reprises le président du conseil est issu de ses rangs : BIDAULT (juin 46 – novembre 46 ; octobre 49 – juillet 50) ; SCHUMAN (novembre 47 – juillet 48 ; 5-11 septembre 48) ; PFIMLIN (11-28 mai 58). En fait la position centrale de ce parti lui permet d’être de toutes les combinaisons politiques ; Et dieu sait si la IVème a pratiqué le compromis (la compromission ?) ! D’abord élément du tripartisme, le MRP participe à la «troisième force» après le renvoi des ministres communistes.  Son bilan se confond donc avec celui de la IVème République mais certaines personnalités se détachent : R. SCHUMAN a été surnommé à juste titre le “père” de l’Europe ; le 9 mai 1950 il “pose la première pierre” de la communauté européenne, la CECA. Il faut dire qu’il avait appris de la bouche de son ami J. MONNET que l’Allemagne se redressait plus vite que la France et qu’il valait mieux s’en faire une alliée économique ; peut-être ses origines alsaciennes lui permettaient-elles de mieux comprendre la mentalité germanique ; un autre personnage qui n’est plus alors encarté MRP donne à ce mouvement une certaine dimension sociale : il s’agit de H. GROUES (l’abbé PIERRE) ; dès 1949 il fonde “les compagnons d’Emmaüs”; et son «appel» de février 1954 sur les “sans-logis” rapporte beaucoup d’argent immédiatement investi dans le logement social. Son goût de la pauvreté détonne au milieu d’un personnel politique issu de milieux riches. Il faut ajouter cependant qu’il avait dès 1950 rendu sa carte du MRP à la suite d’une grave bavure policière ; enfin il serait injuste de ne pas citer ici G. BIDAULT qui fut à plusieurs reprises ministre des affaires étrangères et à ce titre négociateur pour la France de la charte des Nations-Unis en 1945. C’est dans le domaine des “affaires étrangères” que le plus souvent le MRP marque sa différence et son sens des responsabilités. Pourtant cette formation entre assez rapidement dans une décadence inexorable : ce parti tout neuf au début de la IVème vieillit aussi vite que la “jeune république”; il se sent un peu trop à l’aise dans les combinaisons pour ne pas dire les combines du parlementarisme. Et lorsque ce régime devient de plus en plus détesté, le MRP en fait les frais ! Et les “partis frères” n’ont pas manqué de le torpiller, notamment le RPF et les Indépendants et Paysans ; à un moment où les barrières idéologiques entre les groupes politiques étaient “floues” (à l’exception du PCF) et où la majorité de rechange était la règle, la position centrale du MRP était vulnérable. Les citoyens ne s’y sont pas trompés : ils étaient 25% environ à faire confiance au MRP au lendemain de la guerre ; ce chiffre est tombé à 10% environ 10 ans plus tard ! Quelques rares députés sont restés ministres au début de la Vème mais le 15/05/1962 DE GAULLE dénonce le fonctionnement de la communauté  européenne provoquant le départ de ces ministres ; le général, il est vrai, ne pouvait pas apprécier ce parti dont il avait facilité la formation et qui s’était vautré dans le parlementarisme ! J. LECANUET fut le dernier représentant de ce parti moribond ; mais il ne put en renouveler l’idéologie et il se contenta de lui donner une orientation atlantiste. L’évocation de son nom nous projette déjà dans l’histoire contemporaine. On peut regretter que la démocratie chrétienne n’ait pas réussi à s’implanter en France : c’est à ce parti et à K. ADENAUER que la RFA doit son «miracle» économique et A. MORO en Italie a trouvé son inspiration et son savoir-faire au sein de ce même parti !

Jean-Pierre SHIEP