Artemisia Gentileschi (1593-1653)
Fille du peintre toscan Orazio Gentileschi, disciple du célèbre Le Caravage, elle montre très jeune un intérêt et un talent pour la peinture. Ses portraits sont clairement influencés par Le Caravage qu’elle a rencontré plusieurs fois dans l’atelier paternel. Mais les Académies d’Arts de l’Italie du XVII° siècle gardent leurs portes fermées aux filles et aux femmes voulant étudier les Arts, notamment parce que le Pape leur refusait le droit d’observer des modèles masculins nus.
En 1611, son père l’envoie alors apprendre la peinture chez Agostino Tassi, un peintre avec qui il travaille dans le palais Rospigliosi de Rome. Seule avec son professeur, celui-ci la violera. La jeune Artemisia se plaint de ce viol auprès de son père. Pour éviter des poursuites, comble de l’ironie, le violeur propose d’épouser sa victime. Orazio Gentileschi porte le viol de sa fille devant le tribunal papal. Lors du procès, pour s’assurer de la véracité des accusations qu’elle porte contre son professeur, elle est soumise à la Question. Traduction : elle est torturée. Malgré les souffrances endurées, elle maintient ses accusations*. Le violeur est condamné à un an de prison (ou de galère), qu’il n’effectuera pas grâce à des soutiens haut placés.
Un mois à peine après le procès, Artemisia est mariée, sur conseil de son père, à un autre peintre, Pietro Antonio Stiattesi. Le couple s’installe à Florence, où Artemisia commence à connaître la renommée pour ses peintures. En 1612, elle peint “Judith décapitant Holopherne”. Certain-e-s critiques d’Arts y voient là une allégorie cathartique de sa volonté de vengeance pour le viol qu’elle a subi. Elle repeinra ce tableau, en 1618, dans lequel on dirait qu’elle donne ses propres traits à Judith et ceux de son violeur à Holopherne, le général chaldéen décapité par Judith.
Preuve de son talent, le petit-neveu de Michel-Ange lui confie la réalisation d’une toile destinée à décorer un plafond de la Casa Buonarroti, la demeure qu’il construit en hommage à son Oncle. En 1616, elle est même acceptée à l’Accademia delle Arti del Disegno de Florence**, devenant ainsi la première femme à y être intégrée comme peintre (et non pas comme modèle). Le Grand-duc Cosme II de Médicis et sa mère la Grande-duchesse Christine de Lorraine (petite fille de Catherine de Médicis) l’apprécient et lui commandent des œuvres. Vers 1620-1621, le couple et leur fille Prudenzia s’installent à Rome. Artemisia décide de vivre en femme indépendante et quitte son époux. Quelques années plus tard, elle donne naissance à une autre fille. Enfin considérée par ses pairs comme une grande artiste, Artemisia entre à l’Académie des Desiosi, à Bologne. À la recherche de nouvelles commandes intéressantes, elle part vivre à Naples en 1630. Elle travaille enfin sur une cathédrale, celle de Pouzzoles, en hommage au martyr chrétien San Gennaro de Bénévent***. Vers 1638, elle part pour Londres rejoindre son père, engagé à la cour du roi Charles 1er d’Angleterre. Elle participe à la décoration d’un plafond de la Maison de la reine Henriette-Marie**** à Greenwich. De retour à Naples, elle ouvre son propre atelier et forme de jeunes peintres qui connaîtront aussi le succès, tels Bernardo Cavallino et Francesco Guarino.
Artimisia Gentileschi prouve, par son oeuvre, que le talent n’a pas de sexe. Mais l’accès aux lieux d’apprentissage, des lieux tenus par des hommes, est souvent source de difficultés et de violences pour les femmes bravant de tels interdits. Elle aura subit un viol. Combien d’autres femmes subiront de tels outrages de la part d’hommes auprès desquels elles cherchaient à apprendre un art, un savoir ?
Avec les peintres italiennes Sofonisba Anguissola (1535-1625) et Giovanna Garzoni (1600-1670), elles sont sans doute les premières femmes peintres à connaître le succès de leur vivant.
Patrice K
* En 1984, les Éditions « Des Femmes » ont publié « Artemisia Gentileschi. Actes d’un procès pour viol »
** L’Académie de Dessin de Florence est la plus ancienne Académie d’Arts d’Europe. Fondé par le Duc Cosme 1er en janvier 1563. Le célèbre Michel-Ange en sera président.
*** San Gennaro ou St Janvier de Bénévent (270-305). Évêque de Bénévent. Il aurait accompli de nombreux miracles qui eurent l’inconvénient d’agacer sérieusement le Proconsul Timothée qui le condamna à une série de sévices dont il sorti indemne… sauf le dernier (décapitation) ! St Janvier de Bénévent est vénéré dès le V° siècle par les chrétiens de Naples.
**** Henriette Marie de France (1609-1669) reine d’Angleterre. Fille du roi de France Henri IV et de la reine Marie de Médicis, sœur du roi de France Louis XIII. En 1625, elle épousa le roi d’Angleterre Charles Ier Stuart.
Pour en savoir plus : les romans « Artemisia » d’Alexandra Lapierre (paru en 1998 chez Robert Laffont) et « La Passion d’Artimisia » de Susan Vreeland (paru en 2003 aux éditions de l’Archipel). En 1997, Agnès Merlet a réalisé un film (discutable quant au respect de la véracité historique) sur les débuts de cette grande peintre. En 2012, le Musée Maillol de Paris consacra une exposition aux œuvres d’Artemisia Gentileschi.