Confluences n° 120 : rubrique “femmes” (12ème article)

120 page 20 Espagne isabel Barreto (1567-1612)C’est pas (seulement) l’homme qui prend la mer ♫ Isabel Barreto de Castro (1572-1612)

Il m’est arrivé d’entendre, de la part de personnages étroits d’esprit, l’idée saugrenue que les femmes devaient restées dans leur foyer*, voir même se cantonner dans la cuisine. Selon ces mêmes grands penseurs, l’extérieur, les grandes découvertes, les grandes aventures sont des domaines réservés aux seuls et vrais « zhommes » ! Dans la liste des grands découvreurs il est vrai que figurent de nombreux navigateurs et explorateurs de sexe masculin. Marco Polo, Christophe Colomb, Vasco de Gama, Fernand de Magellan étaient à n’en pas douter de ce genre-là… Si peu de femmes voire aucune n’est connue pour de grandes découvertes maritimes, c’est très certainement lié à la mise à l’écart des femmes du monde de la navigation**. Mise à l’écart qui semble liée à de vieilles superstitions***. Longtemps il a été dit qu’une femme à bord d’un navire portait malheur. Notamment parce que sa présence pouvait troubler la sérénité du personnel masculin. La seule figure de femme acceptée était la statue en proue des navires. Cette image féminine avait pour fonction de séduire les dieux marins ou d’effrayer les mauvais esprits de la mer. Quand les conquistadors espagnols ont colonisé le Nouveau Monde, il leur a bien fallu transporter avec eux, dans leurs navires, des femmes ! Et ce fut le cas notamment de la dernière expédition de l’explorateur Alvaro de Mendaña. À court d’argent pour financer son expédition, il épouse, en 1585, Isabel Barreto, la fille d’un riche conquistador espagnol du Pérou. Grâce à la dot de sa jeune épouse (25 ans de moins que lui), il peut enfin finir de financer son projet. En 1595, quatre navires équipés et armés sont prêts à prendre la mer en vue de découvrir de nouveaux territoires à soumettre à la couronne espagnole. Isabel Barreto, ainsi que trois de ses frères prennent part à ce voyage dans l’Océan Pacifique. Les premières îles repérées seront nommées les îles Marquises (en l’honneur du Marquis de Cañette, vice-roi du Pérou, qui participe au financement de l’expédition). Mettant pied à terre sur des îles de l’Archipel Salomon, le chef de l’expédition contracte la malaria****. Avant de mourir, il nomme son épouse Gouverneure des Îles Salomon et donne à Lorenzo, un des frères de son épouse, le grade d’amiral. Mais Lorenzo meurt quelques jours plus tard. Isabel prend alors le poste d’Amiral. Réprimant sévèrement les membres d’équipage qui tentent de se mutiner et de contester son autorité, on dit même qu’elle fit pendre des matelots rebelles. Des révoltes indigènes les obligent à reprendre la mer. L’expédition arrive aux Philippines en février 1596. Elle y rencontre le chevalier de Castro qu’elle épouse quelques mois plus tard. Le couple s’enrichit en commerçant avec des négociants chinois, ce qui financera une partie des colonies établies sur les îles Salomon et Marquises.

Isabel Barreto de Castro est considérée comme la première femme amirale d’une flotte. Les historien-ne-s ont du mal à se mettre d’accord sur la fin de sa vie, certain-e-s la voient mourir au Pérou, d’autres en Espagne. Je clos notre histoire sur le fait que toutes les femmes ne se passionnent pas pour une vie restreinte entre les quatre murs d’un foyer, aussi épanouissant que cela puisse être. Et dans la passionnante histoire des grandes découvertes, j’invite à rajouter le nom de l’Amirale Gouverneure Isabel Barreto de Castro.

Patrice K

* Notamment pour éviter d’occuper les emplois que la société réserve aux hommes. Voir le pitoyable article du Figaro de mars 2016.

** En 1990, Florence Artaud a rencontré quelques soucis pour trouver des sponsors qui acceptaient de financer sa traversée de l’Atlantique ! Quelques mois plus tard elle remportait la course de la Route du Rhum.

*** L’anthropologue Alain Testart pense que ces superstitions sont liées aux analogies que les Anciens faisaient entre l’eau de mer, salée, donc inféconde pour la plupart des plantes vivrières, et la volonté d’éloigner les femmes de ce milieu infécond, elles, que l’on préférait fécondes !

**** Malaria = paludisme.