Jean ZAY

 

Cet article est le premier d’une série commencée en Mars 2013 et publiée dans la rubrique “Education-Culture” de Confluences 81. Ces articles sont écrits par Jean-Pierre Shiep de Castres.

Je vous ZAY (CELINE)

Le 20 juin 1944 Jean ZAY est assassiné par la milice près de Vichy, après avoir été extrait de la prison de Riom pour un “transfert” à Melun ; les miliciens dissimulent son cadavre sous des rochers dans l’espoir de gagner du temps et pour brouiller les pistes ; on fit croire à son épouse que le convoi avait été attaqué par des maquisards près de Saint-Amand Montrond ; le corps ne fut retrouvé que plus tard par des chasseurs.

Jean ZAY était né le 6 août 1904 à Orléans dans une famille cultivée ; le père de tradition israélite dirigeait un journal radical ; la mère, institutrice, venait d’un milieu protestant ; mais la pratique religieuse n’a jamais dû jouer un rôle important dans cette famille puisque le père est franc-maçon ; le jeune Jean est sans doute tombé dès son jeune âge “dans le chaudron” de la politique ! En 1916, alors que son père est sur le front, sa rédaction de certificat d’études est montrée en exemple pour ses qualités littéraires (bien réelles) et patriotiques : le bourrage de crâne fonctionne à fond. Devenu jeune adulte, en 1924, Jean ZAY prend du recul par rapport au patriotisme «bleu-horizon», et un peu à la manière d’un PREVERT, il écrit un poème antimilitariste intitulé “Le drapeau“; mais ce texte ne sera jamais publié. Et alors qu’il n’est même pas encore électeur, il fait campagne contre le candidat de droite de sa circonscription qui lui vouera une haine éternelle ; un peu plus tard, il s’inscrit comme avocat au barreau d’Orléans et il devient, comme son père, franc-maçon1 ; radical-socialiste, il participe à “la ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen” et il cherche avec ses amis, dont Pierre MENDES-FRANCE, à renouveler la “vieille maison” : on les appellera plus tard les “jeunes turcs”2. Élu député en 1932, il œuvre alors pour un rapprochement de l’ensemble des gauches. Nommé sous-secrétaire d’état au début de l’année 1936, il devient après les élections générales et l’avènement du Front-Populaire, le ministre de l’éducation nationale du gouvernement BLUM, à trente deux-ans. Il occupera ce poste pendant quarante mois, ce qui est exceptionnel sous la troisième république !

Les pouvoirs du ministre de l’éducation de l’époque sont beaucoup plus étendus qu’aujourd’hui puisqu’il a en charge, outre l’instruction publique, la recherche, la culture, la jeunesse et les sports, ce qui amènera J.ZAY à travailler avec Irène JOLIOT CURIE et Léo LAGRANGE ! Les ambitions sont immenses mais le bilan est plus maigre, par manque de temps et aussi à cause des conservatismes : scolarité obligatoire portée de treize à quatorze ans , instauration des “classes vertes”, création des sixièmes dites d’orientation et dans un autre domaine, du CNRS… Mais la richesse «des cartons» laisse perplexe : projet de création de l’ENA, du “collège unique” (à la place des trois filières de l’époque) et dans le domaine culturel du festival de Cannes (pour contrecarrer la Mostra de Venise d’obédience fasciste) ! Toute cette activité n’empêche pas le ministre de prendre une part active à la vie politique de son époque : il est pour l’intervention du gouvernement dans la guerre d’Espagne mais il ne peut l’imposer ; en 1938 il est antimunichois mais, sur la demande de DALADIER, il ne démissionne pas. Enfin il lutte contre tous les mouvements qui appuient la montée des fascismes !

Les mouvements d’extrême-droite ne pouvaient que haïr une telle personnalité : homme authentiquement de gauche, sincère, brillant, franc-maçon, avec de vagues ascendances juives, mais bien précises pour ses ennemis, il était une cible idéale. Dès 1932 son adversaire malheureux aux législatives le présente comme l’anti-France, et le texte du “drapeau” commence à circuler sous le manteau, faisant de ZAY un dangereux pacifiste ! Son arrivée au ministère de l’éducation, tout comme l’installation du Front-Populaire qui dissout immédiatement les ligues, provoque des explosions de haine dans des feuilles comme Grégoire, je suis partout, ou l’action française ! On lui reproche maintenant de refuser la “main tendue” de l’Allemagne ! On n’en est plus à une contradiction près ! Et comme l’antisémitisme et l’anti-maçonisme progressent, la droite modérée le déteste autant.

L’entrée en guerre et surtout l’avènement du régime de Vichy allaient porter cette haine à son paroxysme. Dès septembre 1939, J.ZAY démissionne de son poste de ministre pour aller rejoindre l’armée comme engagé volontaire ; lors de la débâcle, on le retrouve à Bordeaux où il embarque à bord du Massilia en compagnie entre autres de MANDEL et de MENDES-FRANCE pour continuer le combat au Maroc ; mais, dès leur arrivée à Rabat, ils sont retenus, puis faits prisonniers ; J.ZAY est accusé de désertion en présence de l’ennemi ! Lors du procès de Clermont le 4 octobre 1940 il est dégradé et condamné au bannissement à CAYENNE ; mais par suite des conditions de navigation devenues aléatoires (la Royal Navy règne en maître), l’exil s’arrête au fort Saint Nicolas à Marseille ; peu de temps après, il est transféré à la maison d’arrêt de Riom ; durant sa détention il rédige un journal intitulé souvenirs et solitude, mais il l’interrompt à l’automne 1943 lorsqu’il n’a même plus la possibilité d’écrire !

On s’est longtemps demandé si Vichy était directement responsable de son exécution ; en tout cas on sait de façon précise que l’ordre a été donné par DARNAND, un personnage de triste mémoire. Dès la libération sa mémoire est réhabilitée ; mais son épouse ne peut obtenir que l’on prenne en compte sa demande d’intervention lors du procès de PETAIN. Cependant les cérémonies et les hommages de toutes sortes se multiplient et nombreux sont les établissements scolaires qui ont pris son nom tout comme la promotion 2012-2013 de l’ENA. D’où vient alors que cette personnalité est peu connue du grand public tout comme MANDEL ou DORMOY ? Peut-être ont-ils eu le tort de n’être ni gaullistes ni communistes : la droite modérée (dans le cas de MANDEL) le radicalisme ou la SFIO ont de moins en moins d’influence à la fin de la quatrième et au début de la cinquième république. Ou bien l’inconscient français serait-il gêné par les exactions de la milice ?

Jean-Pierre SHIEP

(1) à l’époque la franc-maçonnerie se situait avant tout à gauche, même si c’est moins vrai au lendemain de la guerre.

(2) surnom donné aux membres du parti radical qui veulent ancrer leur parti à gauche.