Dialogue n° 10 de Jacques et de son Maître

112 page 13 cerveau 3Dialogue n° 10 : Cravirola, Le Maquis

Le Maître se redressa, posa le dos de sa main sur la région des reins puis s’appuya sur sa binette avant de déclarer : « Nous n’aurions jamais dû écouter les conseils de Gilou le Grenoblois ! Pourquoi diable nous sommes-nous arrêtés ici ? ». Jacques sourit avant de répondre : « Dois-je vous rappeler, mon  bon Maître, que vous n’avez formulé aucune objection, quand, crottés et trempés jusqu’aux os, nous avons distingué à travers un rideau de pluie fort épais, les toits de Cravirola* ? » Le dialogue reprit :

Jacques : Dois-je aussi vous redire que les personnes hébergées ne sont nullement contraintes à donner un coup de main ? Et qu’il vous a semblé « amusant » de désherber un coin de potager ? Un « jeu » pour vous !

Le Maître : Maudit sois-tu, Jacques !

Jacques : La question, avec les riches, c’est qu’ils peuvent cesser de jouer dès qu’ils le souhaitent… à la différence de ceux pour qui le travail n’est pas un jeu, mais une nécessité ! Les riches ont vraiment du mal à imaginer la situation de ces derniers…

Le Maître : Je ne suis pas riche, mais « aisé »…

Jacques : Aussi mon discours était-il général ! Les « riches », c’est vous qui estimez si vous en faites partie ou non.

Le Maître : J’ai mal au dos !

Jacques : Arrêtez donc ! Et allez vous reposer dans cette chambre du gîte que vous avez louée. Elle est confortable…

Le Maître : Discutons plutôt, Monsieur l’impertinent, puisque nous n’avons pas « obligation de rendement » ! Que penses-tu de ce Maquis ?

Jacques : Arrivant à la saison hivernale, nous aurons du mal à en comprendre tous les ressorts. Mais la base de l’ensemble des activités sur ce site, c’est l’autogestion.

Le Maître : Il est sans doute encore trop tôt pour en avoir une idée précise.

Jacques : J’aimerais pouvoir assister à l’une de ces Assemblées Générales où l’on débat de la marche du Maquis mais aussi des thèmes fondateurs et des moyens de les mettre en pratique. Les personnes « fondatrices » du départ ont été partiellement renouvelées au fil des ans, mais « l’esprit » qui souffle sur Cravirola semble maintenu…

Le Maître : Dis-moi si je me trompe : j’ai cru comprendre qu’il y avait concrètement deux grands volets aux activités du Maquis. Celui de la ferme, avec le maraîchage, l’élevage de volailles, la culture des céréales, la fabrication du pain et des fromages, la vente des produits sur les marchés de plein air de la région…

Jacques : Avec l’option d’une agriculture bio !

Le Maître : Le second volet, c’est l’accueil : les gîtes, les chambres d’hôtes, et l’été la caravane et le camping.

Jacques : Les personnes accueillies peuvent – ou non – préparer leurs repas collectivement voire participer aux activités de la ferme, comme désherber le potager… (face au volontaire mutisme de son maître, il poursuit) On m’a expliqué que des groupes de 8 personnes venaient mener à bien un  projet : cela permet un échange de pratiques enrichissant pour ces groupes et pour les membres permanents vivant sur le Maquis. Ils appellent cela « les chantiers solidaires ». J’ajouterais un 3ème volet…

Le Maître : Les activités culturelles !?

Jacques : Hélas, nous avons manqué les rencontres culturelles du Maquis qui se tiennent seulement en juillet et en août sous le chapiteau. Selon mes informations, ces spectacles vivants vont au-delà d’un simple divertissement, ils sont aussi une forme de subversion.

Le Maître : Nous y voilà ! J’accepterais volontiers ces occasions de se rencontrer, d’échanger, de partager…

Jacques : A condition que rien ne change dans l’organisation politique et sociale du pays ?

Le Maître : Evidemment !

Jacques : Mon sentiment est que vous devriez vraiment aller vous reposer au gîte et me laisser biner tranquillement ce petit carré de terre. Vous serez ensuite plus apte à saisir l’importance du socle de l’ensemble des activités du Maquis !

Le Maître : L’autogestion ?

Jacques : L’autogestion !

Candida Rouet (janvier 2015)

*A proximité de Minerve (dans l’Aude), la ferme de Cravirola est plus connue sous le nom de « Maquis » : tout un symbole de résistance !