Les contrôleurs contrôlés – Humeur noire
Depuis la fusion ANPE / Assedic, les deux institutions ont appris la gestion de la pénurie et la précarité de leurs agents. Depuis peu, le gouvernement Philippe nous ressert la chasse aux fraudeurs. Parce qu’en chaque chômeur sommeille un fraudeur qui s’ignore…
Notre premier ministre nous promet de passer de 200 000 contrôles par an à 600 000, un triplement du contrôle des chômeurs, mais à effectif constant.
Normal, de toute manière, comme y’a pas de boulot, on ne va pas s’emmerder à chercher des emplois pour nos chômeurs, autant chercher les fraudeurs, c’est plus vendeur. Et puis, on s’en balance que la fraude à pôle emploi ne représente que 0,4 % des cas… selon Pôle emploi.
A titre de comparaison : la fraude aux cotisations sociales des patrons français, c’est 25 milliards par an. Attention, je ne parle pas de la fraude fiscale, ou de l’évasion fiscale si vous préférez, là c’est entre 60 et 80 milliards par an… Mais c’est tellement mieux de taper sur les chômeurs. On voit tout de suite où sont les priorités de la bande à Macron !
Le renforcement des contrôles devra « aller de pair avec un accompagnement plus rapide et personnalisé des demandeurs d’emploi ». Ça c’est dans le texte. Je sens qu’on va atteindre des sommets. Ça va pas durer longtemps les rendez-vous à Pôle emploi, camarades chômeurs, mais ça va être super personnalisé, genre si tu réponds pas favorablement à une offre, tu dégages des chiffres du chômage…
Et puis, moi, qui suis un humain comme vous et moi, je me demande : qu’est-ce que ça provoque l’injonction de collaboration à la chasse aux pauvres chez les salariés de Pôle emploi ? Des suicides ? Non, quand même pas…
Allez, ça c’était pour l’entrée. Le plat de résistance, maintenant.
Comme toutes les belles innovations managériales, ça commence toujours par une phase expérimentale, sur quelques services, auprès de quelques agences, pour voir si ça marche ou pas. Mais, en général, ça sent le roussi, et la généralisation n’est pas bien loin…
A pôle emploi, ils ont commencé par dire que c’était pas obligatoire le truc. Juste ceux qui voulaient gentiment collaborer. Et puis, quelques mois plus tard, c’était obligatoire pour tout le monde.
De quoi je parle ? Des « observations de la relation de service », une procédure pondue par la Direction de la qualité de service de pôle emploi. Le principe est simple : le N+1, le responsable d’équipe en général, vient observer le conseiller en train de conseiller le demandeur d’emploi. Le chef arrive comme ça, il s’assied à côté du salarié et note tout ce qui se passe. Le demandeur d’emploi peut refuser, mais il est surtout inviter à accepter. « Tu donnes ton accord, hein, branleur de chômeur, sinon, je regarde ton dossier en détail ! »
Le N+1 commence par noter si le conseiller a bien mis son badge, s’il regarde son interlocuteur – c’est important de ne pas regarder ses pieds pendant un entretien avec un pauvre. Bien sûr, il faut qu’il écoute avec attention… « Eh, t’écoute bien ? Parce que j’arrive pas à voir quand tes oreilles bougent ! »
Ah, oui, super important, le N+1 note si le conseiller sait bien dire bonjour… « Eh, tu nous le refais le bonjour, celui-là, y’avait pas assez de pitié, trop sec, mets de la douceur, bordel ! Pour demain : stage de bonjour après tes heures de boulot ! »
C’est un vrai bonheur ce guide d’observation, que des machins de la novlangue managériale, que des trucs où le gars il est pris pour un con, ou un esclave. Non mais, t’imagines un chaperon à tes côtés alors que tu cherches avec le chômeur comment le sortir de sa merde. Et bien sûr, le N+1 va devoir rester objectif.
Pour l’amuse-gueule, sur le guide d’observation il est écrit : « l’observation permet, sur la base des constats partagés, lors du débriefing, d’alimenter un Entretien de Suivi d’Activité ».
Déjà, le truc du « constat partagé », c’est signe que c’est pourri. En gros, on t’invite à te soumettre à la hiérarchie et à fermer ta gueule. « Tu le partages le constat que tu fais du sale boulot avec les moyens qu’on te donne ». Ah ben oui, tu le partages, mais tu vas te démerder pour foutre ton chômeur dans une case qui va bien aux chefs tout en haut.
Ensuite, « l’Entretien Suivi d’Activité », c’est aussi une autre procédure qui sert à pressuriser les travailleurs, à contrôler leur activité, à voir s’ils sont sur la bonne courbe, dans le bon camembert. C’est ce qu’on appelle en langue manager le « reporting ».
Quand vous irez voir votre conseiller pôle emploi, rappelez-vous que ce n’est pas un fonctionnaire (la race est pratiquement éteinte), qu’il est certainement en CDD, voire en contrat aidé, et qu’il est surveillé pour vous faire rentrer dans des cases. En gros, il doit faire le sale boulot que nos dirigeants lui impose.
Comme le disait Jacques Higelin : « Je crois, non pas à des lendemains meilleurs, mais à un aujourd’hui meilleur. »