Majesté. . .
Il fut un temps où la monarchie espagnole avait la cote. Comme pour faire oublier les lointaines accointances de la famille royale avec la dictature de Primo de Rivera, le “23 février” lava plus blanc que blanc et rendit à la monarchie la virginité dont elle avait besoin. Ce jour-là, l’intervention télévisée du roi Juan Carlos renvoya dans leurs foyers les militaires félons qui, sous la houlette un tantinet désuète du colonel Tejero, tentaient de rétablir les beaux principes du régime franquiste six ans après la mort du dictateur (qu’il repose en paix). Les Bourbons d’Espagne enlevèrent ce jour-là leur brevet de démocratie. Le monde, la larme à l’oeil, assista stupéfait au discours du roi démocrate, fondit en sanglots et applaudit à grands cris.
Las, comme dit la sagesse populaire, “chassez le naturel, il revient au galop”. Le nouveau roi, succédant à l’abdication du roi susdit, son père, le sémillant, joli garçon, moderne (pensez, il a épousé une sémillante, jolie fille et roturière présentatrice de télévision ! hourra !) Felipe VI, a effacé en une allocution une seule – exploit digne de la “Remontada’ ! – les effets bénéfiques de l’ancien discours paternel.
D’après la royale allocution, les autorités catalanes auraient fait preuve “d’une grande déloyauté” et auraient “bafoué l’Etat démocratique”. Amen.
Déloyauté, certes… Vous avez raison, Majesté. Nous vous en donnons volontiers quitus. Mais vis-à-vis de quelle loi ? Celle, nous dit-on, qui fait de l’Espagne une monarchie indivisible. Celle, donc, qui pose précisément le problème auquel le peuple catalan a tenté, nonobstant coups de pieds, violences, agressions physiques et balles en caoutchouc, d’apporter SA réponse – la sienne, Majesté, juste la sienne – ce dimanche 1er octobre.
Vous n’êtes pas content Majesté. Cela tombe bien. Nous non plus. Nous, nous sommes une entité qu’autrefois on appelait le peuple. Que cela vous échappe, nous pouvons le comprendre. Quand on est né dans votre famille, le peuple est un concept. Pardonnez-nous, Majesté, mais le peuple est tout autre chose. Il est fait de chair et de sang. Et de désirs, d’aspirations… Pour vous, la patience des peuples étant sans bornes, certes, mais ses désirs souverains, il suffirait juste d’en prendre acte.
Vous ne voulez pas.
Vous devriez.
Les peuples ont la mémoire longue. Ne l’oubliez pas, Majesté.
Les peuples ont la mémoire longue, plus longue que vos décrets.
Beaucoup plus.
Vous-même, Majesté, j’en suis sûr, en êtes au fond de vous convaincu.
Alors mettez vos intuitions en accord avec votre raison.
Pour que tous vivent en paix.
N’est-ce pas la vocation de la monarchie ?
Sans violence.
En libertés pour tous.
En exemplarité pour tous.
Si votre famille le veut…
Mais le veut-elle ?
Si vous le voulez…
Mais le voulez-vous ?
Et quand bien même… Les peuples sont adultes Majesté. Voilà bien ce que vous ignorez. Que vous l’ignoriez, du reste, est assez logique. Votre statut ne vous conduit pas à savoir ce que les “petites gens”, en communauté, peuvent envisager pour eux-mêmes. Ce qui s’appelle, précisément, la démocratie. Non tête baissée vis-à-vis de la loi. Mais possibilité, au contraire, pour les prétendues “minorités” – en l’occurrence majorité chez elle – de dire simplement : “non” et “nous voulons”. Mais que votre gouvernement l’ignore, lui, est tout simplement incompréhensible, triste, et scandaleux.
Que vous lui emboîtiez le pas est dommageable pour tous. Pour le pays, que vous renvoyez à ses épisodes les plus tristes. Pour votre famille, dont vous ternissez l’image. Pour vous-même, enfin, qui auriez pu laisser l’image d’un souverain capable et éclairé, soucieux d’accompagner les désirs de ses peuples (ne disait-on pas, autrefois, “les Espagnes” au pluriel ?), et de marcher dans les pas de l’Histoire.
Vous ne l’avez pas souhaité.
Le peuple catalan s’en moque.
L’Histoire vous raillera. Avant de vous oublier.
Le 4 octobre 2017
Jérôme VIALARET