“J’ai souvent pensé à me marier. Et puis j’ai réfléchi.” *
Dans son ouvrage « Les Structures élémentaires de la Parentalité » (paru en 1948), l’anthropologue Claude Lévi-Strauss estime que le mariage est l’organisation familiale la plus répandue à travers le monde. La grande majorité des sociétés humaines organisent donc la famille en liant des personnes entre elles par des liens civils ou religieux. Naïvement on pourrait penser que les individus qui contractent cette forme d’union sont considérés comme égaux. Hélas, cela n’est pas systématique.
Pour de nombreuses femmes, à travers le monde et à travers les âges, le mariage a été synonyme d’asservissement, d’aliénation, d’infantilisation.
Exceptions faites des unions issues de rapt ou d’achat des femmes, le mariage permettait d’unir des familles, des clans, des territoires, des royaumes… au-delà des épousailles des personnes mariées. Très souvent, l’avis des principaux intéressés était facultatif ! Mariage de raison et d’intérêts… L’amour n’avait pas sa place dans cette histoire !
Dans la Gaulle des premiers siècles de notre ère, les rites celtiques, notamment autour du mariage (contrat de droit civil), continuaient à perdurer bien que le christianisme s’imposait irrémédiablement. Vers 1100, en France, on voit s’inscrire les premiers rituels liturgiques du mariage consacré par un prêtre chrétien. Le mariage devient monogame. L’adultère y est proscrit, le consentement mutuel est préféré aux arrangements familiaux. En ce temps là, même les hommes d’Église pouvaient se marier. C’est le Concile de Latran II, en 1139, qui impose le célibat et l’abstinence aux ecclésiastiques. Le grand concile œcuménique de Latran IV (1215) hisse le mariage au rang de sacrement religieux et il devient indissoluble. La femme mariée fait alors figure de Sainte chez les Chrétiens du début de Moyen Âge en Europe Occidentale **.
Dans une société où l’autonomie économique des femmes est rarement permise, le mariage est, pour beaucoup d’entre elles, un espoir de survie, et pour certaines, l’espoir d’obtenir un statut social. Pour les hommes, le mariage est la quasi-certitude d’avoir une sexualité à domicile et la possibilité d’avoir une lignée (des enfants). Lors du Concile de Trente (entre 1545 et 1563) les papes Marcel II, Paul IV et Pie IV instaurent de « nouvelles règles » à propos des mœurs matrimoniales : renforcement de l’indissolubilité du mariage, importance de la fidélité, valorisation de la virginité de la femme avant le mariage… Le plaisir sexuel est condamné, l’ordre chrétien estime que les organes génitaux ont un seul but : la procréation. Ce concile espère mettre un terme à plusieurs siècles de sexualité volage, tant au sein du peuple que chez l’aristocratie et le Clergé ! Après le Concile de Trente, l’Église chrétienne interdit la prostitution qui avait été jusque là tolérée, car elle servait à contenir les pulsions masculines et préservait donc, paradoxalement, le mariage ! Déjà, cette institution qu’est le mariage rencontrait des adversaires qui voyaient en elle un système d’oppression patriarcale. Dans le plus long roman*** de la littérature française, « Artamène ou le grand Cyrius », on trouve d’ailleurs de féroces charges contre le mariage. Son auteure, Madeleine de Scudéry (1607-1701) ****, par la voix de l’héroïne de son roman, Sapho (nommée ainsi en hommage à la poétesse grecque), tient un discours courageux contre le mariage : « (…) je regarde le mariage comme un long esclavage (…) je regarde tous les hommes comme pouvant devenir des tyrans (…) ». En accord avec ce principe elle ne se maria pas ! Comme il était plus facile, en ce temps là, de vivre de sa plume si on était un homme, elle écrivit plusieurs romans sous le nom de son frère, Georges de Scudéry. Elle est néanmoins la 1ère femme à obtenir le prix de l’éloquence de l’Académie Française (pour son discours sur la Gloire). Connaissant l’importance de l’instruction (dont elle a pu bénéficier grâce à l’oncle qui l’a éduquée), elle en revendique l’accès pour toutes les femmes.
Instruites, les femmes pourraient alors s’émanciper et s’autonomiser. Par la suite, elles n’auraient plus besoin de se lier dans un mauvais mariage. Et ne se lierai que par désir, par amour. Elles étaient d’ailleurs nombreuses déçues de leur mariage à revendiquer le droit au divorce. La Révolution française apportera la reconnaissance de ce droit le 20 septembre 1792. Mais quelques décennies plus tard, en 1804, Napoléon Bonaparte décrètera dans un Code patriarcal l’infériorité de la femme mariée et supprimera le divorce par consentement mutuel…
Patrice K
* Citation de Noël Coward (1899-1973) dramaturge, compositeur… anglais
** Si on se réfère à « La théorie du mariage chez les moralistes carolingiens » de Pierre Toubert (aux éditions Spolète – 1977) et à l’ouvrage de Patrick Corbet, « Les Saints ottoniens… autour de l’an mil » (aux éditions Sigmaringen – 1986)
*** Paru de 1649 et 1653, il est composé de 10 volumes et comporte 13 095 pages dans sa version d’origine.
**** Romancière française, membre du mouvement « précieux » de la littérature française. À partir de 1650, elle anime son propre salon littéraire à Paris. On dit qu’elle a influencé Molière et Jean de La Fontaîne.