Confluences 81 publie depuis janvier 2014 (n° 106) une série de textes de Patrice Kappel qui enrichissent notre réflexion sur les femmes qui, dans l’histoire (ou la légende ?) ont amené un apport exceptionnel, même s’il est parfois très méconnu… Ci-dessous une première série de 7 articles.
Quand une femme fait une découverte importante, on l’attribue à un homme.
Trotula de Salerne et l’effet Matilda.
Contrairement à une idée répandue et savamment entretenue, la première femme toubib n’est pas Elizabeth Blackwell en 1849 aux USA (cela ne minimise en rien le courage qu’il a fallu à toutes celles qui ont bravé les interdits pour obtenir le droit d’exercer !). En étudiant les médecines traditionnelles, on constate que des femmes exerçaient la médecine sur tous les continents dès la « médecine primitive ». Et même, dans certaines régions du monde, les femmes sont les seules à exercer cet art, comme c’est le cas chez les Olo-Maanyam sur l’île de Bornéo.
Certains historiens attribuent à Cléopâtre VII, reine d’Égypte, un « Traité sur les maladies des femmes et les accouchements », cette affirmation n’est pas du goût de tous mais quoi qu’il en soit, l’Antiquité compte un grand nombre de femmes médeciennes* ou de prêtresses vouées aux soins.
En 1901, Marcel Beaudoin publiait un livre « Les femmes médecins » où il donnait à lire quelques éléments prouvant la place des femmes dans les pratiques médicales.
L’Italie a conservé au Moyen Age quelques influences des cultures gréco-romaines. Parmi ces influences, on retrouve la volonté de sortir du giron religieux la formation scolaire. Telle l’école de médecine laïque de Salerne, dont la renommée sera internationale.
Au sein de cette école on rencontre d’ailleurs de grandes célébrités** médicales féminines, telles Françoise de Romagna ou Trotula di Ruggiero.
Trotula de Salerne*** est une chirurgienne, obstétricienne et généraliste qui enseigne la médecine à Salerne. Elle rédige des traités notamment sur les conséquences de l’hygiène et de l’alimentation sur la santé. Dans ses écrits on constate qu’elle porte un intérêt pour la santé des femmes : « Les maladies des femmes », « Traitements pour les Femmes »…
Elle développe des techniques d’accouchement sans douleur, notamment grâce à l’opium. Ces méthodes furent mal perçues par des hommes d’Église, puisqu’elle contrevenait à un des ordres donnés à Ève dans le Genèse d’enfanter dans la douleur. Bien qu’elle ait eu une conscience aiguë des souffrances vécues par les femmes, elle témoigne aussi d’idées assez réactionnaires, certes banales en son temps, poursuivant ainsi des éléments de la philosophie d’Aristote qui ne voyait dans les femmes qu’un réceptacle pour l’enfant à naître. La preuve dans son « Traité du Foutre », où elle présente les femmes comme soumises et passives pendant l’acte sexuel et dans les fonctions procréatrices.
Trotula de Salerne pratiquait déjà au XI° siècle des césariennes, des réparations du périnée et d’autres actes chirurgicaux… Il fut difficilement admis qu’une femme puisse détenir de tels savoirs (alors que d’autres femmes ont prouvé que cela leur était possible, telle Hildegarde de Bingen…), et on attribua la plupart de ses écrits et de ses découvertes techniques à des hommes !
Une écrivaine et journaliste étasunienne, Matilda Joslyn Gage, identifiait vers 1850, qu’une minorité d’hommes s’appropriaient une pensée élaborée collectivement (et notamment par des femmes) à leur profit.
En 1993, l’historienne des sciences Margaret Rossiter s’est intéressée à la place des femmes scientifiques dans l’Histoire. Notamment le fait que les femmes de science reçoivent moins de crédibilité pour leurs travaux scientifiques que les hommes (et moins de crédits financiers aussi). Et on constate que certaines de leurs découvertes sont attribuées, à tort, à des hommes. Elle a nommé cette notion « l’effet Matilda », en hommage à la féministe Matilda Joslyn Gage, mais aussi pour poursuivre le concept « d’effet Matthieu »**** développé par Robert Merton qui a remarqué que la mise en lumière d’une personnalité scientifique tend à plonger celles qui l’ont accompagnée (ou ont mené des recherches concomitantes) dans l’ombre.
Pour en revenir à « L’Effet Matilda », on peut dire qu’il désigne le déni ou la minimisation de la contribution des femmes scientifiques à la recherche, dont le travail est souvent attribué à leurs collègues masculins.
Il faudra attendre 1903 pour qu’une femme scientifique soit co-décorée du Prix Nobel de Physique. Et 1911 où la même scientifique reçoit, le Prix Nobel de Chimie pour ses travaux sur le polonium et le radium. Cette chimiste physicienne franco-polonaise se nommait Marie Curie Skłodowska.
Mais là, nous sommes déjà dans l’ère moderne, alors qu’il y a encore tant à dire sur le Moyen Age ! Notamment rappeler qu’un édit de 1220, sous Philippe Auguste, interdit aux femmes, en France, d’exercer la médecine en dehors de la faculté. L’intransigeance religieuse va chasser les femmes pratiquant les arts médicaux, comme la phytothérapie, en les considérant sorcières dignes des bûchers de l’Inquisition… Elles auront droit d’être sages-femmes, infirmières mais plus médeciennes ! Il faudra attendre 1875, en France, pour qu’une femme, Madeleine Brès, ait la possibilité de se présenter (et d’obtenir) le Doctorat de médecine. Bravo à elle.
Patrice K
* Médecienne : à la place d’inventer un néologisme pour définir une profession dont le terme actuel (médecin) invisibilise les femmes, autant voir dans le passé si un mot n’existait pas déjà ! Ce qui a l’avantage de prouver que des femmes exerçaient déjà cette profession !
** Célèbres mais oubliées !
*** Trotula de Salerne : le nom de la ville de Salerne a pris la place de son nom de baptême pour la postérité ! Elle meurt en 1097. Sa date de naissance est inconnue à ce jour.
**** Effet Matthieu : Robert Merton choisi ce prénom en référence à l’Evangéliste qui écrit quelque chose du style « à celui qui a il sera donné, et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré. » Toutes ressemblances avec des faits vécus serait totalement fortuites et indépendantes de ma volonté.