Quand on parle des Rochambelles, ces ambulancières qui surent s’illustrer par leur savoir-faire et leur courage principalement lors de la Libération, on ne peut que penser à Suzanne MASSU (TORRES à l’époque) qui fut en quelque sorte l’âme de ce groupe.
On ne sait pas grand-chose de la jeunesse de Suzanne TORRES (nom de jeune fille ou d’un premier mari?) , tant elle était discrète et évitait de parler d’elle-même. En faisant quelques regroupements on peut supposer qu’elle était née dans les années 1910 puisqu’on dit d’elle dans les années quarante qu’elle était une belle femme dans l’épanouissement de la trentaine ; d’autre part divers éléments laissent supposer qu’elle appartenait à la grande bourgeoisie cultivée de l’époque ; et de toute évidence elle avait poursuivi des études médicales ou paramédicales. Les premières pages de “Quand j’étais Rochambelle” nous apprennent qu’elle a joué un rôle important en tant qu’ambulancière dès le début de la guerre dans les “sections sanitaires automobiles du front”. Elle sert de liaison entre ces unités et le commandement. Au printemps quarante lors de la débâcle elle suit le gouvernement à Bordeaux avant de gagner l’Afrique du nord en avion grâce à son uniforme de la Croix-Rouge, faute d’avoir pu gagner l’Angleterre, avec pour pilote SAINT EXUPERY. Lorsque le gouvernement de Vichy se fait trop obsédant à l’automne 40 elle va en Espagne pour gagner le Brésil et ensuite les USA au début de 1942. C’est là qu’elle rencontre le “commandant” (1) Florence CONRAD une américaine francophile qui a pu acquérir grâce à des fonds de mouvements féministes 19 ambulances et qui forme un équipage féminin dans le but de participer à la “Libération». Elle fait de Suzanne TORRES son “lieutenant” (1). A ce moment le groupe prend le pseudonyme de Rochambeau en souvenir du maréchal français héros de l’indépendance américaine.
En septembre 1943 les Rochambelles à bord du Pasteur gagnent Casablanca puis Rabat ; elles espèrent intégrer la 2°DB mais LECLERC en bon militaire “macho” est beaucoup plus intéressé par le matériel et les ambulances que par ces jeunes femmes ; Florence CONRAD et Suzanne TORRES parviendront par leur obstination à le convaincre du contraire ; c’est là que les hommes de la 2°DB les surnomment “les Rochambelles” dénomination qui est passée à la postérité. Dès lors un entraînement militaire complète leur formation d’ambulancière et dans des conditions de vie “spartiate” parfois rocambolesque elles gagnent l’Angleterre pour ultérieurement participer au débarquement ; En mai 44 après avoir transité par l’Algérie le groupe embarque à Mers-El-Kébir pour l’Angleterre ; on peut penser qu’à travers l’Atlantique à ce moment-là le voyage ne fut pas sans inquiétude ; elles touchent terre à Liverpool avant de gagner le Yorkshire à Cottingham où elles résident et s’entraînent , choyées par tous les habitants jusqu’à la fin juillet . Début aout c’est leur “débarquement ” en Normandie dans un pays encore peu sûr où les “poches” allemandes peuvent provoquer pas mal de dégâts : elles suivent ou plutôt accompagnent sous la direction de Suzanne TORRES la division LECLERC et jusqu’à leur arrivée à Berchtesgaden en mai 45 elles rencontreront de multiples aventures ; certaines d’entre elles y laisseront la vie ! Mais il y eut tout de même des moments agréables comme la libération de Paris (où elles laissent Florence CONRAD trop âgée pour les suivre) ou de Strasbourg avec les couleurs françaises hissées sur la flèche de la cathédrale !
Au lendemain de la guerre le groupe perd de son importance ; quelques unes d’entre-elles partent pour l’Indochine – Suzanne TORRES qui est devenue Mme Massu en fait sans doute partie mais elle n’en parle pas -! Elle joue un rôle politique indirect en influençant son époux au moins à trois reprises :au lendemain du 13 mai 58 MASSU remet le pouvoir aux mains des civils c’est à dire de DE GAULLE ; en 1960 lorsqu’il est démis de ses fonctions en Algérie il ne se rebelle pas contre son «patron» ; enfin en 1961 il se détourne de l’OAS alors qu’il avait été sollicité par SALAN pour prendre la tête du putsch des généraux ; par contre on ne sait quelle a été la réaction de Mme Massu lors de la bataille d’Alger épisode peu glorieux s’il en fut pour la plus grande partie des dignitaires de l’armée française et pour bien des hommes politiques. En 1969 elle rédige “Quand j’étais Rochambelle” un ouvrage sur la période 1939-1945. Elle nous a quittés en 1977 . On peut s’étonner de l’absence de documents concernant les “Rochambelles”; est-ce à cause du machisme du lendemain de la guerre?
Jean-Pierre Shiep
(1) à l’époque les grades n’existent pas dans l’armée pour les femmes