La volonté d’accéder à l’instruction
La première revendication proto-féministe * que l’on trouve dès le Moyen Âge, en Europe de l’Ouest, est la volonté de nombreuses femmes d’accéder à l’instruction, aux savoirs, aux sciences. Aux éléments qui leur permettraient de s’émanciper des hommes et de sortir de la sujétion et de la misère.
Les femmes ont été très longtemps écartées des lieux d’apprentissages et d’instruction. Pour divers prétextes. Mais surtout pour continuer à leur imposer un ordre. Celui d’un système aux mains d’une caste d’hommes.
Les premières femmes à avoir eu accès à l’instruction et à la recherche sont des religieuses (oui, je sais, ça peut surprendre !).
Le monastère de Ste Odile, au sud de Strasbourg (Alsace) est réputé pour les sommes accumulées par ses religieuses.
Pour illustrer mon propos je vais présenter deux religieuses qui sortirent du lot en leur temps.
Je commence par Hildegarde de Bingen (1098-1179). Pour résumer, Hildegarde de Bingen est une religieuse Bénédictine (de l’ordre de St Benoît de Nursie), mystique (elle dit avoir des visions), femme de lettres, compositrice de musique liturgique, médecin, linguiste (elle inventa même une langue, qu’elle sera apparemment seule à parler !) ayant vécue au sein d’un Duché du St Empire Germanique. Elle entre au couvent dès l’âge de 8 ans et deviendra à l’âge de 38 ans, abbesse du monastère de Disibodenberg (dans l’actuelle Allemagne).
Elle laisse un certain nombre d’écrits sur la musique, sur les plantes médicinales, sur la physiologie, sur les minéraux et sur les visions qu’elle dit avoir depuis l’âge de 3 ans.
Influente et renommée en son temps, le Pape Eugène III prit conseil auprès d’elle tout comme l’Empereur Frederic IV. On loue son esprit, sa sagesse et son intelligence.
Considérée comme une sainte par une partie des gens du peuple, elle entre dès lors dans les martyrologes. Longtemps considérée comme Bienheureuse, le pape Benoît XVI la reconnaît, en mai 2012, comme « Docteure de l’Église » (4° femme à être nommée ainsi après Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila et Thérèse de Lisieux).
Dans le Nord de la France et au sud de la Belgique, certaines religieuses chrétiennes, notamment les Béguines (qui prônent une pauvreté évangélique), ont-elles aussi un mode de vie tourné autant vers la spiritualité que vers la recherche et les connaissances. Marguerite Porete (1250-1310) est une d’elles. Elle écrit « Le Miroir des âmes simples et anéanties ». Ouvrage dans lequel elle entretient une discussion avec celui qu’elle nomme « Seigneur ». Mais ses propos, proches de certaines mystiques orientales, comportant quelques critiques de la richesse et de la hiérarchie de l’Église, heurtent le pouvoir ecclésiastique.
Son ouvrage sera condamné par Gui de Colmier, l’évêque de Cambrai en 1300 et brûlé en place publique.
Marguerite de Porete sera ensuite conduite devant l’Inquisition en Haute Lorraine, puis devant le dominicain Guillaume, Inquisiteur de Paris. Elle sera excommuniée. Puis brûlée vive le 30 mai 1310.
En 1311, c’est tout l’ordre des Béguines qui est à son tour condamné lors du Concile de Vienne par le pape Clément V (qui en profite aussi pour condamner le Libre Esprit, un courant de pensée qui s’écartait de la doctrine chrétienne officielle).
Ainsi, les seules femmes à avoir accès à l’instruction et aux savoirs sont écartées de la recherche spirituelle. Elles doivent se soumettre à la théologie des officiels du pouvoir religieux, qui eux, sont des hommes. C’est à croire que les hommes de l’Église étaient méfiants envers la capacité des femmes à accéder aux savoirs.
Le culte de la Vierge Marie sera peut-être leur concession aux femmes. Mais l’image de la seule femme qu’ils acceptent alors de vénérer est une image sous leur contrôle : une femme vierge, sans désir, sans tentation, soumise (souvent représentée en génuflexion, les mains jointes en prière, le visage légèrement penché…).
Interdire aux femmes l’accès à l’instruction, c’est faire le choix de les maintenir dans une forme d’ignorance. Ignorance des savoirs, des sciences et ainsi les éloigner de la transmission de ces savoirs. Par la suite, cela justifie leur relégation dans le rang des êtres inférieurs… incapables d’assumer de hautes fonctions dans la société, aussi bien dans les domaines économiques, artisanaux, politiques, militaires, cléricaux, artistiques…
Mais partout s’élèvent des voix pour faire entendre la légitime revendication de l’accès à l’instruction et aux savoirs. Et cet élan ne pourra pas être brisé !
Patrice K
* Proto-féministe : avant le féminisme. Terme qui désigne les personnes, les revendications et les luttes pour les droits des femmes avant 1830.