Il est traditionnel que la gauche gouvernementale s’intéresse à l’Economie Sociale et Solidaire. Le gouvernement Jospin avait ainsi introduit la Société Coopérative d’Intérêt Collectif dans la législation. Benoît Hamon, ministre délégué, se montre plus ambitieux avec un projet de loi-cadre sur l’ESS. Présenté au Conseil des ministres du 17 juillet 2013, ce projet vise à étendre le périmètre de l’ESS en y intégrant des sociétés de capitaux qui respecteraient certaines règles pour le moins floues.Imposant document de 96 pages, ce projet de loi se décompose en neuf titres. Le premier porte sur « la définition du champ de l’ESS ». Le second sur « des dispositions favorisant la transmission d’entreprises à leurs salariés ». Les quatre titres suivants portent sur chacune des différentes structures qui
L’opposition la plus farouche à cette extension du champ de l’ESS ne vient hélas pas du mouvement coopératif, trop disparate et trop installé dans l’économie marchande pour y faire face. Elle vient d’associations intervenant dans le domaine de l’Insertion par l’Activité Economique. Parmi elles, la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, qui regroupe entre autres, le Secours Catholique, la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France et la Cimade) dénonce cette ouverture de l’ESS à des sociétés de capitaux : « Ces acteurs, par l’existence d’un but lucratif, peuvent en effet attirer des capitaux plus facilement que les acteurs de l’ESS. Il nous semble par conséquent préférable d’orienter des capitaux publics uniquement vers ces derniers, vers les acteurs qui garantissent, par leurs règles de fonctionnement, la recherche de l’intérêt général, dans l’association démocratique des énergies. La FNARS propose ainsi de ne reconnaître comme structure de l’ESS que les entreprises qui respectent les principes de gouvernance démocratique (1 personne = 1 voix) et de non lucrativité individuelle (impossibilité de verser des dividendes). » Cette fédération conteste par ailleurs la logique des marchés réservés aux structures de l’ESS : « Un marché réservé qui n’intégrerait pas de critère d’appréciation de la performance d’insertion pour ne porter que sur la qualité de la prestation et son prix, n’apporterait aucun avantage pour la qualité de l’accompagnement proposé aux publics. »
C’est sans doute ici que le danger de l’ouverture du périmètre de l’ESS à des sociétés de capitaux va faire sentir ses effets. A titre d’exemple, le groupe Adecco de travail temporaire développe depuis 1993 des structures d’Insertion par l’Activité Economique. Le Réseau Adecco Insertion se développe ainsi « en accompagnant les entreprises assujetties à des clauses sociales dans les marchés publics et privés. »S’il est demain labellisé ESS, il sera probablement au premier rang pour l’obtention de ces marchés publics réservés et c’est toute la logique de l’Insertion par l’Activité Économique qui en sera bouleversée. A ce titre, il convient de mentionner que le projet de loi indique qu’il « s’inscrit dans le cadre de l’initiative de la Commission européenne pour promouvoir ce secteur comme acteur à part entière d’une « économie sociale de marché hautement compétitive ». » La messe est dite.
Côté titre II portant sur « des dispositions favorisant la transmission d’entreprises à leurs salariés », on aurait pu s’attendre à beaucoup plus d’ambitions. Au terme de cette loi, les salariés disposeront désormais d’un « droit de préférence » qui prévoit d’exiger du chef d’entreprise de moins de 250 salariés qu’il informe ses salariés de son intention de vendre son entreprise deux mois avant toute transaction et permettant aux salariés de proposer leur propre projet de reprise de l’entreprise. Rien à voir avec le « droit de préemption » préconisé par l’association AP2E qui leur donne un droit de se substituer au repreneur pour transformer l’entreprise en coopérative. En effet, le projet de loi stipule bien que le chef d’entreprise « reste libre de vendre au prix qu’il souhaite et à qui il veut ». Ceci n’empêche pas le patronat d’être vent debout contre cette obligation d’informer les salariés.
Article de Benoît Borrits dans la lettre de l’Association Autogestion