Morin l’oriental
Enfant de l’après-guerre, et jeune adulte en pleine interrogation sur l’évolution consumériste et technocratique des Trente Glorieuses, typique soixante-huitarde étudiante en sciences humaines dans les années 70, j’ai eu la chance de grandir intellectuellement avec la pensée d’Edgar Morin.
La jeunesse, dont j’étais, commençait à constater les dégâts infligés à la nature par l’agriculture conventionnelle, et votait René Dumont en 74. Elle refusait également de se voiler la face à propos des crimes soviétiques et lisait Soljenitsyne.
En tous cas le monde tel qu’il allait ne nous convenait pas. Beaucoup d’entre nous sont partis élever des chèvres en communauté, et d’autres ont pris la route de l’Est ou du Sud.
Nous étions à la fois gauchos, écolos et hippies, et nous voulions autre chose : une vie où l’être humain serait meilleur, à la fois dans son potentiel d’organisation sociale, mais aussi dans son développement individuel.
Nous voulions du « je » et du « nous »…
Presque cinquante ans plus tard, à l’âge de la retraite, nous constatons avec tristesse à quel point nous avions vu juste, et à quel point nos idées, bien que pionnières, ont eu du mal à trouver leur place au soleil de cette fuite en avant du progrès technique, instrumentalisé par les plus avides, où la croissance est devenue un dogme indiscutable pour le commun des mortels.
Fidèles à nos valeurs, nous nous sommes pour la plupart engagés dans des actions militantes afin de tenter patiemment de faire avancer le débat, et nous avons opté pour un style de vie aussi sobre que possible, privilégiant les choses de l’esprit plutôt que celles de la matière.
Nous sommes devenus alters…
Pour trouver un sens à notre vie, certains d’entre nous ont fait un pas de côté, et ont cherché leur voie existentielle dans d’antiques cultures, où semblait subsister une authentique philosophie – dans l’acception étymologique d’amour de la sagesse.
Dans ces pays lointains, les dépositaires de l’intelligence du passé étaient ravis de partager leurs connaissances avec des occidentaux sincères, et, dans mon cas personnel, j’ai rencontré d’authentiques passeurs qui ont définitivement renversé mon rapport au monde : le foyer d’incubation de ma révolution intérieure fût la vénérable tradition indienne, qui, comme toutes les antiques civilisations extra-européennes, conservait en ces années 70 sa profonde personnalité, où le macrocosme répondait spontanément au microcosme dans l’esprit de son peuple, encore essentiellement rural et coutumier.
Cette quête romantique d’une nouvelle vision de l’aventure humaine, et, en même temps, d’une ouverture de la conscience, a joué un rôle non négligeable dans l’évolution des connaissances sur le fonctionnement de l’esprit humain, du fait de la qualité intellectuelle de beaucoup de ces voyageuses et voyageurs, dont certains, à leur retour de Katmandou ou d’Amazonie, se sont engagés dans d’originales recherches en sciences cognitives, ou en sciences humaines. Ce mouvement donne aujourd’hui un véritable espoir de transformation sociétale par l’importance de plus en plus reconnue aux idées et conceptions extra-occidentales, aux techniques psycho-corporelles, mais aussi aux techniques de pleine présence/pleine conscience, dans les secteurs-clés de l’éducation et de la santé.
Or cette progression des connaissances s’appuie sur une Weltanschauung inédite, où est reconnue la fondamentale consubstantialité entre l’homme et son environnement.
Il est fascinant de constater à quel point ce bouillon de culture rejoint le long et passionnant cheminement de la pensée d’Edgar Morin.
Je constate qu’il devient d’année en année, le porte-parole de ces valeurs qui parient sur la perfectibilité spirituelle des humains et de leurs sociétés, autant que sur le développement technique.
Je voudrais donc montrer quels sont les ponts entre l’originalité de sa pensée et les fondements intellectuels de l’antique philosophie indienne qui a nourri ma propre trajectoire.
En examinant l’évolution de sa pensée, je constate que, très tôt, Edgar Morin sort d’une vision strictement occidentale du monde pour tenter de comprendre la condition humaine au travers de ses différentes cultures, dans une démarche comparatiste, que l’on trouve particulièrement dans « L’homme et la mort ».
Il y a, dans cet ouvrage, la marque d’une pensée vagabonde, qui nomadise dans l’histoire humaine, en s’appuyant sur la préhistoire, l’ethnologie, la psychologie, la biologie et la philosophie, pour tenter de saisir les caractéristiques phénoménologiques de notre espèce.
« L’homme et la mort », paru pour la première fois en 1951, est caractéristique d’une aventure inédite, celle de la transdisciplinarité, où Edgar Morin a été un pionnier. On peut dire sans risque que c’est l’un des premiers ouvrages d’anthropologie, au sens d’une réflexion élargie sur ce qui nous fait humains. Cette préoccupation ne le quittera pas : elle irriguera, quelques années plus tard, l’esprit du Colloque de Royaumont, dans lequel l’être humain est pensé dans ses racines animales, par un fécond dialogue avec l’éthologie, la primatologie et les neurosciences. Le livre qui s’en suivra, « Le paradigme perdu », en 1973, constituera la pierre angulaire de la construction d’une vaste théorie de l’humanité. C’est cette passion pour la connaissance approfondie de notre espèce à partir de son milieu d’origine qui sera, au fond, la raison principale de la mise en place des outils révolutionnaires de « La Méthode », et qui constituera la base de son Anthropologie Fondamentale.
Or « L’homme et la mort » pose les fondements d’une radicale refonte de l’idée reçue selon laquelle l’humanité serait essentiellement motivée par l’organisation matérielle, en vue d’assurer sa survie. On y voir apparaître une autre sphère, celle du mythe, de la religion, de l’imagination, de la poésie. Nous avons là les prémices de cette dialogique typiquement morinienne, que l’on trouve dès « Le paradigme perdu », où l’être humain est pensé comme à la fois rationnel, calculateur, maître de lui, apollinien, relié au réel, mais aussi émotif, rêveur, prodigue, dionysiaque, relié à l’imaginaire.
Plus tard, la pensée morinienne le définira comme tout autant prosaïcus que poeticus.
Certes, dans cet intérêt affirmé pour le monde des idées, Edgar Morin se situe dans la ligne classique de la sociologie compréhensive issue des travaux de Max Weber, mais son originalité a été d’étendre les réflexions sur l’esprit des sociétés à une compréhension de l’esprit de notre espèce.
Pour lui l’humain, enfant du cosmos et de la terre, est un être bifide dans lequel les deux sphères – la rationnelle, technique, utilitariste, prosaïque, et l’affective, imaginaire, gratuite, poétique – ne peuvent fonctionner l’une sans l’autre, car les deux constituent le socle de son fonctionnement. On y voit la mesure de l’une se nourrir de la démesure de l’autre. : « Il nous faut… surimposer au visage sérieux, travailleur, appliqué d’homo sapiens, le visage à la fois autre et identique d’homo demens. L’homme est fou-sage »[1], et « Et dans la rupture des contrôles rationnels, culturels, matériels, lorsqu’il y a confusion entre l’objectif et le subjectif, entre le réel et l’imaginaire, lorsqu’il y a hégémonie d’illusions, démesure déchaînée, alors l’homo demens assujettit homo sapiens et subordonne l’intelligence rationnelle au service de ses monstres »[2].
C’est pourquoi, selon sa pensée, l’humain est potentiellement Sapiens et Demens, à cause de l’interaction de ces deux sphères.
Dans « L’homme et la mort », pour poser cette opposition/conjonction entre prose et poésie, fécondante d’humanité, il s’appuie, entre autre, sur un aspect essentiel de la tradition indienne, qui considère l’extase mystique comme un possible épanouissement de l’esprit, dans un choix, au delà des responsabilités sociales, d’union poétique avec le Grand Tout[3], comme une sorte de sage folie.
Il ne me semble pas inconcevable de penser que ses recherches sur l’antique vision du monde de l’Inde, où l’homme peut et doit maintenir le lien avec son ancrage cosmique, dans une passion contemplative ressourçante, ont pu contribuer à l’élaboration de certains concepts fondamentaux de son modèle anthropologique, dans lequel le dialogue entre les polarités est constitutif de l’humaine condition. Où l’état prosaïque et l’état poétique conversent dans le fond de l’esprit d’Homo.
A ce sujet, il est intéressant de voir l’évolution de la pensée d’Edgar Morin.
Dans « L’homme et la mort », il considère que cette ouverture à l’extase – telle que proposée par la tradition indienne, où l’adepte des techniques yoguiques se retire dans un au-delà de lui-même pour faire l’expérience d’une unité cosmique – ne convient pas à notre culture contemporaine sur-active, aux énergies « conquérantes », adolescentes : « L’homme est effectivement dans son adolescence. il est en pleine aventure. sa vérité est “faustienne” » [4].
Mais au fur et à mesure que le productivisme prométhéen montre sa folie dans le déchaînement incontrôlable du toujours-plus matérialiste, Edgar Morin reconnaît la nécessité d’une forme de non-agir et valorise la vie méditative : « J’adhère à la magnifique entreprise de repoétisation de nos vies et de notre être au monde et d’autant plus que nous sommes envahis de prose » [5].
La sage folie peut ainsi devenir le remède pour la folle raison.
Au cours du temps, on peut même voir se transformer son écriture, qui, de structurée et souvent abstraite, devient de plus en plus imprégnée d’affectivité, d’élans poétiques, entraînant le lecteur dans une véritable vision plutôt que dans une réflexion.
Ainsi l’état poétique devient pour lui une nécessaire porte de sortie du délire hyperprosaïque du monde contemporain, donnant des gages à la fête, à la danse et à la musique, au partage, aux arts vivants, à l’épanouissement créatif, à la méditation, à l’amour et à la fraternité : « Vivre poétiquement, c’est vivre pour vivre » [6] et « Ce sont ces états seconds, pleins d’intensité poétique qui donnent la sensation de la vraie vie. C’est en eux que nous nous perdons pour nous retrouver, que nous nous retrouvons en nous perdant. L’extase est l’état limite, bienheureux, où nous conduit l’état second qui devient alors premier »[7].
Dans cet intérêt, précoce dans l’œuvre morinienne, pour l’antique culture indienne, je vois également apparaître un autre des aspects essentiels de sa pensée : l’ancrage cosmique de l’homme, et la dialectique entre le tout et la partie.
En effet, la philosophie indienne, comme la plupart des philosophies antiques, avaient l’intuition d’un lien consubstantiel entre l’homme et le monde, et le déploiement de leurs systèmes de représentation, de leurs religions, mais aussi de leurs rituels, avait pour but de faire ressentir, par l’intermédiaire des spécialistes du sacré, cette unité ou cette fondamentale relation homme/cosmos.
Cette indissolubilité entre le plus intime de la vie des êtres et les mécanismes majestueux de l’énergie universelle constitue la trame même de tout l’édifice conceptuel de la philosophie de l’Inde ancienne ; elle est aussi au fondement des techniques spirituelles visant à faire, au-delà de la conscience ordinaire, l’expérience de cette réalité existentielle sous-jacente, par le passage, justement, entre état prosaïque et état poétique.
Mais quelle que soit la culture, la pensée antique, foncièrement organisciste, considère le microcosme et le macrocosme à l’image l’un de l’autre, et inconcevables sans un lien solide de l’un à l’autre.
La pensée occidentale moderne, où l’homme est conçu comme séparé et supérieur à la nature, et où la césure est irrémédiable entre les deux, est une exception dans l’histoire des cultures humaines.
Il semble donc qu’Edgar Morin – dont la trajectoire intellectuelle a été animée depuis l’origine par une curiosité hors sentiers, par une implication sensible dans son objet de recherche, et par un intérêt passionné pour les révolutions scientifiques en microphysique, cosmologie et pensée systémique – ait retrouvé cette intuition de l’unité homme/cosmos comme constitutive de l’esprit humain, et comme réalité fondamentale.
Je crois comprendre que cette intuition a été la focale à partir de laquelle s’est constituée peu à peu sa Pensée Complexe, dont le génie est de proposer une porte de sortie méthodique à la logique aristotélicienne clivant les opposés, adepte du tiers-exclu. En cela il retrouve la pensée occidentale du premier humanisme, celui ou science et foi pouvaient mêler rigueur et émerveillement, dans une attitude contemplative, et dont Pascal, l’un des auteurs préférés d’Edgar Morin, est un représentant tardif, dans ce XVIIème siècle où cet humanisme basculait vers un autre, matérialiste et dominateur. D’ailleurs la déclaration de Pascal – « Je tiens pour impossible de connaître les parties en tant que parties sans connaître le tout, mais je tiens pour non moins impossible la possibilité de connaître le tout sans connaître singulièrement les parties » – est l’une des citations-fétiches d’Edgar Morin.
La Pensée Complexe, qui parachève toute l’évolution de sa recherche sur l’esprit humain, se fonde sur un trépied méthodologique qui, en révolutionnant la logique cartésienne, propose de révolutionner aussi, comme conséquence nécessaire et inéluctable, la relation de l’être humain au monde.
Les trois principes constitutifs de la Pensée Complexe sont évidemment inséparables et conduisent à une refonte paradigmatique, portant donc sur les fondamentaux de la pensée : la dialogique, où les contraires se parlent et se répondent ; la boucle récursive, où l’effet d’une cause devient ipso facto la cause d’un futur effet ; le principe hologrammatique, où le tout est dans la partie comme la partie dans le tout.
Ce qui m’intéresse particulièrement dans cette somptueuse construction d’un nouveau paradigme pour la pensée contemporaine, c’est que ces trois principes sont également fondamentaux dans l’antique pensée indienne. Celle-ci fût la source d’une conceptualisation qui a eu une longue durée dans l’histoire, et qui a nourri le monde hindou autant que le monde bouddhiste, sans compter ses influences sur toute l’Asie. Mais elle fût également le socle d’une recherche d’intimité avec le fond de soi-même, nourrissant une sagesse qui s’est ramifiée en de nombreuses écoles spirituelles.
Prenons d’abord le principe dialogique.
La philosophie indienne, comme la pensée taoïste, ne considère pas les dualités comme irréconciliables, mais elle constitue une pensée trinaire qui introduit un troisième terme entre les polarités, fonctionnant comme un médiateur, un tiers-inclus. C’est dans cet espace médian que les séries d’opposés vont pouvoir se réordonner dans un niveau d’être où la conjonction est possible. Ce système fonctionne dans de multiples catégories du réel. Le plus célèbre de ces groupements de polarités est celui qui décrit les trois qualités de l’énergie vitale (triguna) : active (rajaguna), passive (tamaguna) et harmonieuse (sattvaguna) : l’univers n’existe qu’en fonction des mouvements de balancier entre ces pôles, où le deux passe par le trois pour se résoudre en un.
Venons-en maintenant au principe récursif.
Depuis la plus haute antiquité, la pensée indienne s’est passionnée pour la question de la logique temporelle du monde vivant où toute impulsion (hetu), issue d’un sujet, engendre un ou plusieurs effets (karma), qui eux-mêmes laissent des traces (samskara) sur le fonctionnement matériel ou psychique de ce sujet vivant. Cela modifie la future production de mouvement, créant ainsi un vortex où se tissent des conditions favorables ou défavorables à son équilibre vital. Il n’y a jamais, dans cette vision, une seule cause à un effet, mais un faisceau de raisons, de dispositions, de circonstances, créant un champ où la nouveauté à venir s’organise d’elle-même au sein de toute ligne d’action engageant un sujet constitué. De ce fait, pour le sage, la créativité et l’imprédictibilité du devenir est une donnée fondamentale à intégrer pour naviguer sur les eaux de l’existence en se laissant porter par le courant.
Enfin, parlons du principe hologrammatique.
Nous avons vu plus haut que ce principe est au cœur de la vision indienne de la relation homme/cosmos : tout ce qui est dehors est également dedans, tout ce qui est en bas est également en haut, et c’est la conscience de cette relation essentielle (yoga) entre chaque être, dans la profondeur de son existence (âtman), et l’être du monde (brahman), qui permet la cohésion de l’ensemble du vivant, et qui est salvatrice pour chaque individu. Voici une magnifique citation, venant d’un texte vieux du 8ème siècle avant notre ère, et qui est un véritable plaidoyer pour le monde fractal : « Cette âme qui est au-dedans de mon cœur est plus petite qu’un grain de riz, qu’un grain d’orge, qu’un grain de moutarde, qu’un grain de mil, qu’un noyau de grain de mil. Cette âme qui est au-dedans de mon cœur est plus grande que la terre, plus grande que l’espace, plus grande que le ciel, plus grande que tous les mondes »[8].
Evidemment, cette pensée, portée à la contemplation de la trame qui constitue l’existence plutôt qu’à la transformation du réel, a eu un destin subalterne dans l’histoire, faisant de la terre indienne un espace de conquête pour les peuples venant de l’ouest, portés par une volonté d’hégémonie territoriale ou d’exploitation des richesses.
Mais certaines des valeurs portées par cette conception du monde ont percolé au long des siècles dans une partie importante du monde asiatique, en générant des attitudes de respect de la nature, de tolérance et de non-violence. Depuis le XIXème siècle, ces valeurs ont rencontré une frange de la population occidentale qui s’inquiétait de la montée en puissance de l’idéologie matérialiste et mécaniciste, et ont progressivement fait leur chemin dans la mise en place d’un imaginaire qui est sorti de l’emprise du redoutable mythe de l’homme blanc, maître et possesseur de la nature. Un imaginaire décolonisé, selon l’expression de Serge Latouche[9].
Les acteurs sociaux partisans d’innombrables initiatives citoyennes qui poussent à un réel changement sur le terrain sociétal sont leurs héritiers
Le sociologue Michel Maffesoli, proche d’Edgar Morin, théorise une postmodernité[10] qui se s’édifie aujourd’hui même sur les ruines de la domination occidentale. Soucieuse d’équilibre entre les polarités de genre, et d’harmonie homme-nature, donc à la fois féministe et écologique, elle s’empare de cette pensée venant de l’est, et s’imprègne d’orientalisme.
Il y a ainsi une nouvelle conjonction sociétale entre ces trois domaines, dont la cohérence chante la même mélodie que celle de la Pensée Complexe.
D’ailleurs, Edgar Morin n’oublie jamais de nous rappeler que complexe est complexus, c’est-à-dire tissé ensemble. Là encore, l’Inde lui fait un clin d’œil, puisque ce qui est tissé ensemble, en sanscrit, est tantra, qui est la trame vitale de ce grand organisme qu’est le cosmos, où l’interdépendance entre les êtres est totale, et où rien, contrairement aux apparences (maya), n’est séparé du tout, dans une dynamique perpétuelle où l’impermanence est la réalité intime du mouvement du monde.
Les acteurs de cette postmodernité humaniste sont imprégnés de ces idées de la reliance entre les choses et les êtres, où les relations sont imprégnées de circularité, et refusent un savoir et une société fragmentés, où règne, dans une terrifiante ligne de fuite, l’isolement et le non-sens.
Ces femmes et ces hommes, qui bâtissent sans bruit une citoyenneté dynamique, sont les nouveaux résistants, et Edgar Morin est pour beaucoup d’entre eux un modèle intellectuel qui vivifie leurs engagements. Un sorte de figure tutélaire rassurante, bienveillante.
Je suis convaincue, comme membre de cette mouvance citoyenne à la sobriété heureuse, que la Pensée Complexe, pensée d’un amour pour le monde et pour l’humanité, doit constituer un modèle pour la formation des esprits des jeunes générations, afin que son corollaire obligé, la reconnaissance de l’unité humaine comme progéniture de la Terre-Patrie, ouvre enfin un champ de compréhension de notre juste place dans le concert des vivants, pour refuser de nourrir les chroniques du désastre annoncé.
Eveline Grieder,
Docteur en sociologie, chercheure en socio-anthropologie de l’imaginaire, dans l’esprit d’Edgar Morin.
[1] Edgar Morin, Le paradigme perdu : la nature humaine, Seuil, Paris, 1973, p.127.
[2] Ibid. p.123.
[3] Edgar Morin, L’homme et la mort, Seuil, Paris, 1970, p. 222 suiv.
[4] Ibid. p.242, 243.
[5] Edgar Morin, Correspondance privée avec l’auteur, 2016.
[6] Edgar Morin, La voie, Fayard, Paris, 2011, p. 65.
[7] Ibid., p. 267.
[8] Fernand Hayot (trad.), Chandogya Upanishad, Jean Maisonneuve, Paris, 1996, p. 49.
[9] Serge Latouche, Décoloniser l’imaginaire, Parangon/Vs, Lyon, 2005.
[10] Michel Maffesoli, Le temps des tribus. le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes, La Table Ronde, Paris, 2000.