Marc BLOCH

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Cet article est le douzième d’une série commencée en Mars 2013 et publiée dans la rubrique “Education-Culture” de Confluences 81. Ces articles sont écrits par Jean-Pierre Shiep de Castres. Vous le trouverez dans le n° 112 (janvier 2015).

MARC BLOCH…UN MEDIEVISTE DANS LA TOURMENTE

Marc BLOCH voit le jour en 1886 à Lyon où son père enseigne l’histoire ancienne à l’université ; muté à l’E.N.S(1) de la rue d’Ulm et à la Sorbonne à Paris il y amène toute sa famille. Le jeune Marc poursuit sa scolarité à “Louis le Grand” avant de réussir le concours de l’e.n.s rue d’Ulm en 1904. Admis à l’agrégation d’histoire en 1908 il passe deux années en Allemagne à l’université de Berlin puis de Leipzig ; mais il faut bien reconnaître que l’on ne sait pas grand chose de sa jeunesse sans doute parce-que sa famille cultivait la discrétion. On sait seulement que cette jeunesse fut heureuse comme il le reconnaît dans une «lettre -testament» écrite un peu plus tard depuis le front à ses parents en 1915 sans doute à un moment difficile : “je mentirais en disant que je ne regrette pas la vie ; je serais injuste envers vous qui me l’avez faite si douce” ! A la veille de la guerre il avait été professeur à Montpellier puis à Amiens. Mobilisé comme sergent d’infanterie avant de devenir capitaine au service du renseignement il reçut au cours de ces années la légion d’honneur et la croix de guerre. La paix revenue, nommé à l’université de Strasbourg – tout un symbole au lendemain de la Grande guerre – il y rencontre Lucien FEVRE ; son goût pour le Moyen -Age s’affermit chaque jour comme le prouvent ses premiers ouvrages : Rois et Serfs (1920), Les Rois Thaumaturges (1924), Les Caractères Originaux de l’Histoire Rurale Française (1930). Il renouvelle ainsi l’approche de sa spécialité : la création avec L. FEVRE en 1929 des “Annales d’histoire économique et sociale” en est la meilleure illustration : le titre donné à la revue montre l’orientation de leurs travaux : la présentation des événements s’inscrit dans un contexte sociologique et psychologique très vaste, ce qui permet de mieux les appréhender dans leur continuité et leur diversité. Lors de sa mutation en 1936 à la Sorbonne il poursuit  ses travaux en élargissant leur audience dans toute l’Europe. Malgré ses multiples activités il mène une vie “normale” puisque marié en 1919 il est père de six enfants !

Malgré son âge et ses charges familiales il tient en 1939 à participer au combat comme capitaine d’état-major ; lors de la débâcle depuis Dunkerque il passe en Angleterre pour éviter d’être fait prisonnier avant de rejoindre Cherbourg pour essayer de regrouper l’armée du Nord ; tous ces événements sont consignés dans “L’étrange défaite» document écrit à la fin de 1940. Dès l’armistice il passe clandestinement en zone libre. Exclu de la fonction publique en raison de sa judéité il est réintégré peu de temps après pour “services rendus”-il était difficile de considérer comme apatride un tel “poilu” – et rattaché à l’université de Strasbourg exilée à Clermont-Ferrand. Toutes ces péripéties ne l’empêchent pas de rédiger “L’étrange défaite» qui analyse les raisons de la débâcle du printemps 40 : rigidité et vieillesse des cadres de l’armée, guerre de position face à un ennemi mobile, moral de l’armée en berne ; et aussi embourgeoisement au mauvais sens du mot des classes moyennes ; par contre il démontre que sur le plan matériel la France et l’Angleterre pouvaient soutenir le choc de l’Allemagne. BLUM et DALADIER lors du procès de Riom (1942) et DE GAULLE dans ses Mémoires feront à peu près la même analyse. Le document soigneusement dissimulé est publié au lendemain de la guerre par les soins de la famille. A Clermont M.BLOCH songe un instant à s’exiler au USA mais il est viscéralement attaché à son pays et de plus ce départ se ferait avec seulement une partie de sa famille ; et ses rapports se tendent avec L.FEVRE lorsque ce dernier songe à demander l’autorisation de l’occupant pour faire reparaître les “annales” en zone occupée ; M. BLOCH devrait adopter un pseudonyme ou s’effacer : comment un juif pouvait- il signer une publication en régime nazi ? Il hésite et finalement on trouve une solution boiteuse avant qu’il ne se fasse muter à Montpellier. Il entre complètement en Résistance à la fin de 1942 au moment du Débarquement au Maghreb : les allemands ayant envahi la zone libre il n’est plus en sécurité nulle part. Mais on peut penser qu’il y avait eu des contacts dès1941 à Clermont. On le retrouve au sein de “Franc-Tireur” puis des “Mouvements Unis de la Résistance” après la fusion des deux mouvements ; il devient l’un des chefs de la région lyonnaise plaque tournante de la Résistance. Comme le confirme l’un de ses fils on ne sait cependant pas grand chose sur l’ensemble de ses activités mais elles furent multiples. Arrêté le 8 mars 1944 à Lyon par la gestapo il est incarcéré au fort de Montluc que dirige un certain Klaus BARBIE. Il en est extrait le 16 juin 1944 pour être exécuté avec 29 autres otages. “Je souhaiterais volontiers que pour toute devise on gravât sur ma pierre tombale ces simples mots : dilexit veritatem (il a choisi-et aimé- la vérité)” avait-il écrit comme testament en 1941 à Clermont. Quant aux “annales” elles existent toujours sous le pseudonyme : «Annales. Histoire. Sciences sociales» avec le même état d’esprit.

Je an-Pierre SHIEP

(1) école normale supérieure (le nec plus ultra !)