Demandez au citoyen lambda s’il connaît Fred SCAMARONI : la plupart des gens répondront par la négative ; les vieux marseillais se souviendront peut-être d’un vieux rafiot “loué” à la fin des années quarante à la Norvège pour la “transat”(1) et baptisé ainsi ; on craignait de s’embarquer à son bord…
Godefroy (dit Fred) SCAMARONI voit le jour à Ajaccio en 1914 dans un milieu aisé : le père est avocat et deviendra sous-préfet puis préfet au lendemain de la guerre de 14. La famille le suit lors de ses affectations : Ussel, Saint-Brieuc, Brive, Mende, Charleville-Mézières ; Le jeune Fred dans ce milieu sans doute assez guindé acquiert un caractère très indépendant grâce à sa sœur ainée Marie-Claire qui l’adore et qui est peut-être à l’origine de son surnom ; son prof de math en “math élem” le dit trop “amateur” ce qui ne l’empêche pas de réussir l’examen très brillamment. Licencié en droit en 1934 il devance l’appel et entre à l’école des officiers de réserve de Saint-Maixent avec le grade de sous-lieutenant ; rendu à la vie civile il passe en 1936 le concours d’attaché au cabinet de préfet et suit son «patron” à Caen lors de sa mutation ; en 1938 suite au décès de son père il devient chef de famille. Malgré son statut, lors de la déclaration de guerre il rejoint son régiment en forêt du Warndt (région de la Sarre) puis dans le secteur de Tours où il passe son brevet d’observateur en avions trouvant l’armée de terre beaucoup trop apathique ; il est blessé lors d’un combat aérien le 19 ce qui lui vaudra de prendre du galon ! A peine rétabli il rejoint sa base repliée à Carpiquet près de Caen puis lors de la débâcle à Pau. Dès l’armistice il gagne Saint Jean de Luz et s’embarque pour l’Angleterre le 21 juin. Incorporé dans les forces françaises libres il se perfectionne à l’école de pilotage de Saint-Atham et se porte volontaire auprès de DE GAULLE pour l’opération du Sénégal. En septembre il atterrit à Dakar pour participer à cette opération mais c’est un échec et il est fait prisonnier par les forces vichystes ; il risque le peloton d’exécution pour haute trahison mais DE GAULLE intervient. Après plusieurs séjours en prison en Afrique on le transfère en France métropolitaine à la prison de Clermont. On lui propose contre sa liberté de désavouer DE GAULLE : il refuse mais parvient à se faire libérer; il est déclassé et obtient un simple emploi de coursier au secrétariat d’état au ravitaillement à Vichy en janvier 1941 ce qui lui permet de voyager discrètement et d’établir de nombreux liens dans le cadre de la résistance notamment en Corse. Il anime à ce moment-là le réseau Copernic. C’est pendant cette période qu’il rencontre pour la dernière fois sa mère en toute discrétion dans une station de métro : il faut dire que toute la famille impliquée dans la résistance court de grands risques ; malgré cette discrétion il est repéré par la Gestapo et Londres le rappelle aux premiers jours de 42. Il fait partie de l’état major de DE GAULLE, entre au BCRA (2) et convainc son “patron” de l’importance stratégique de la Corse dans le futur débarquement ; la libération de l’Afrique du nord le 8 novembre 42 rend cette proposition encore plus crédible. Envoyé en mission il aborde le 7 janvier 1943 dans l’ile sous le nom de F J SEVERI à bord d’un sous-marin anglais ; la situation est pour le moins préoccupante car depuis la libération de l’Afrique du nord la Corse est très surveillée et occupée par plus de 80000 hommes italiens et allemands pour une population de 200000 insulaires ! Tout se déroule normalement cependant mais “SEVERI” ne parvient pas à placer toutes les résistances sous la houlette de DE GAULLE : le Front National (3) s’y oppose et dans cette île où chaque vallée est un monde à part il est difficile de créer une quelconque unité ; Et l’OVRA la redoutable police italienne veille ! Le 18 mars suite à une imprudence que “SEVERI” avait cependant “flairée” son radio HELLIER est arrêté par la police italienne ; affreusement torturé il parle et très rapidement “SEVERI” est appréhendé à son tour et conduit dans la citadelle d’Ajaccio ; après d’horribles tortures, craignant de parler il se suicide avec un fil de fer en travers de la gorge : “vive la France, vive DE GAULLE” a-t-il écrit de son propre sang. A aucun moment l’ennemi ne connaîtra son vrai nom ! L’évêque d’Ajaccio lui refuse la terre chrétienne et sa famille n’apprend son décès que plus tard : qui connaissait SEVERI ? Quant à la Corse elle est libérée en septembre-octobre 43.
Dès la libération de la Corse les honneurs posthumes lui sont rendus par toute la Résistance et aussi par les anglais ; un timbre est même gravé à son effigie le 51/04/1958. Mais petit à petit son nom est tout de même tombé dans l’oubli malgré le bel ouvrage de sa sœur Marie-Claire : “Mort pour la France”(1986). Peut-être est-il trop « français » pour être glorifié par les “autonomistes” et trop « corse » pour être bien vu de Paris !
Jean-Pierre SHIEP
1°compagnie générale transatlantique (devenue pour la Corse SNCM)
2°bureau central de renseignement et d’action (voir article sur BROSSOLETTE)
3°mouvement d’obédience communiste (rien à voir avec LE PEN)