SAPPHO

107 page 16 Bust_Sappho_Musei_Capitolini_MC1164Sappho (environ 630 av JC-580 av JC)

Sappho aurait vécu à Mytilène, sur l’île de Lesbos

Poétesse grecque et joueuse de barbitos (lyre au son un peu plus grave), de harpe et de plectre, sa réputation fit d’elle « la Lesbienne* » ce qui signifiait en ce temps « la personne célèbre de Lesbos ».

Certains pensent que l’ensemble de ses œuvres a été brûlé en 1073. Quelques fragments de poèmes et des citations sont quand même arrivés jusqu’à nous. Ce que nous savons de Sappho provient surtout des écrits de ses contemporains !

Quel respect de la vérité avec si peu d’éléments ? Quelle objectivité devant la faiblesse des sources ?

Pour moi Sappho est surtout une révélatrice bien malgré elle. Les propos qui ont été tenus sur elle, à travers l’histoire, nous enseignent de l’intérêt et des tabous qui entourent la sexualité et l’émancipation des femmes au cours de l’histoire. Les interprétations au sujet de sa vie et de son œuvre sont souvent liées aux évolutions sociales et culturelles de la période où elles sont émises. Et c’est en cela que Sappho devient intéressante, à mes yeux !

Il semblerait que Sappho soit issue d’une famille de l’aristocratie de Lesbos. Certains textes qui lui sont attribués sont politiques et laissent entrevoir une vision conservatrice de la gestion de la Cité. Certaines de ses prises de positions et quelques-uns de ses écrits auraient déplu au Tyran de Lesbos, Myrsilos (à moins qu’il ne s’agisse de Pittacos). Ce qui lui valut d’être envoyée en exil en Sicile jusqu’à la grâce accordée par Pittacos en 595 av JC.

L’homosexualité féminine ne semblait pas être un tabou, en son temps. Mais quelques siècles plus tard, l’homosexualité (réelle ou supposée) de Sappho a servi d’exutoire à un certain nombre de comédiens grecs qui ont fait d’elle un personnage aux mœurs dépravés lorsque l’homosexualité féminine était devenue une arrogance face au pouvoir masculin.

Tout laisse à penser que Sappho animait un cercle de jeunes femmes de l’aristocratie, qu’elle initiait aux jeux et plaisirs de l’amour et des sens, tout en leur délivrant une éducation basée sur l’apprentissage de la musique, de la danse, du chant, du théâtre ; une éducation placée sous le signe d’Aphrodite et dispensée sous une forme initiatique et ritualisée.

Si l’on en croit des épithalames** de Sappho, ainsi que son poème sur le mariage d’Hector et Andromaque, la formation qu’elle délivrait, visait à faire acquérir aux jeunes filles les « qualités » requises dans le cadre du mariage. Ainsi, les relations homo-érotiques entre Sappho et certaines des jeunes filles du groupe sont probablement une forme rituelle d’initiation sexuelle.

La souffrance exprimée dans plusieurs poèmes de Sappho exprime probablement les tourments d’une poétesse homosexuelle qui sait que les jeunes filles dont elle est amoureuse vont la quitter pour se marier. Sappho sait à quelle vie sont destinées ces jeunes filles. Les femmes grecques, même mariées, ne sont pas considérées comme citoyennes. Elles ont pour « fonction » de donner des enfants (mâles de préférence) à leurs époux.

Les élèves de Sappho étaient originaires de tout l’empire grec. Les échanges entre ces filles venant de régions différentes leur permettaient de développer une ouverture d’esprit et d’acquérir de grandes connaissances, accédant ainsi à divers savoirs et à l’indépendance vis-à-vis des hommes, des lois et des coutumes de la Cité. Elles développaient aussi entre elles des relations de camaraderie habituellement réservées aux hommes.

L’enseignement de Sappho est pour les filles une véritable initiation à la liberté. Ce qui remet en cause le patriarcat et la toute-puissance masculine. Il est ainsi compréhensible que les représentants de l’ordre moral des siècles suivants répriment ces façons d’être et de faire, notamment en considérant Sappho comme une débauchée ou bien en mettant en avant son homosexualité lui ôtant l’aspect pédagogique et libératoire de l’enseignement promulgué au sein de son cercle.

Patrice K

* L’utilisation du terme « lesbienne » pour désigner une femme homosexuelle n’est attestée qu’à partir du IX° siècle ap JC.

Dans l’Antiquité grecque, on utilisait le terme « tribas » pour désigner une femme homosexuelle.

Plus tard, des termes dérivés de son nom, comme le « saphisme » et l’adjectif « saphique » ont désigné l’homosexualité (plus que l’œuvre poétique et musicale de Sappho !)

** Un épithalame est une forme de poème lyrique de la Grèce Antique composé à l’occasion d’un mariage, à la louange des nouveaux époux. Il était chanté par un chœur de jeunes vierges seules ou composé de jeunes filles et de jeunes garçons, accompagné de danses.